Claude Seignolle ou l’homme légende, par Éric Poindron
Dimanche 25 juin 2017, l’immense Claude Seignolle, écrivain et conteur, sorcier et « meneur de loups », ami de Jean Ray ou de André Hardellet et de tant de grands maîtres du fantastique a eu cent ans. A défaut d’être académicien, le diable de bonhomme n’est pas loin d’être immortel.
Éric Poindron, son ami et éditeur de « Au Château de l’étrange », nous emmène en promenade mystérieuse avec un jeune homme aux longs cheveux gris, insaisissable et taquin.
Suivez les guides…
Les sentiers nocturnes et fous où se cache l’inexpliqué
J’ai pour la première fois rencontré Claude Seignolle, le scribe des diables et des sorciers, dans l’immense bibliothèque d’une école religieuse de province. C’était durant mon adolescence à « Reims-la-morose ». M’ennuyant ferme auprès de mes camarades qui n’étaient pas mes camarades, je préférais, chaque midi, aider le Frère lettré à classer les livres que les rares lecteurs venaient rapporter. Je n’avais pas quinze ans et, si l’école ne m’amusait guère, j’endossais le costume de l’aspirant bibliothécaire avec conscience et curiosités. C’est cette année-là que je découvris Les Évangiles du Diable, L’Invitation au château de l’étrange et Delphine ou la nuit des halles. Dès les premières lectures, je me fis un véritable compagnon. Seignolle avait le don d’attraper l’adolescent que j’étais par le bras et de ne plus le lâcher.
Spectres, apparitions, dames blanches, présences sournoises ou maléfiques s’animaient avec vigueur sous la plume du raconteur d’histoires. Au fil des pages, il était question de conversations avec l’au-delà, de maisons maudites, de présences inexpliquées, de nuits pas à pas et fantastiques que l’ami nouveau écrivait à bras le corps, à bras le cœur. Il n’affirmait rien et cette absence d’explications renforçait encore la fascination liée à découverte. Même si je devais quitter l’école de bonne heure, je ne devais jamais quitter Claude Seignolle.
Plus tard, alors que je vivais à Paris sans domicile établi, et trouvais refuge dans les musées et les bibliothèques – publiques cette fois –, je rencontrai Claude Seignolle, une nuit d’hiver, dans une ruelle proche du parc Montsouris. L’écrivain se promenait avec Gérard de Nerval, le poète famélique. Les deux compères marchaient bras dessus, bras dessous en bavardant, alors que Nerval avait mis fin à ses jours en 1855, non loin de la tour Saint-Jacques. Je les vis aussi clairement que vous me lisez. Je ne fis évidemment rien pour troubler cette rencontre ni percer ce mystère. Cette absence d’explications ne me troubla guère, l’un comme l’autre étant capables de confondre les époques et de s’amuser de nos certitudes. J’ai toujours, et malgré moi, fréquenté les sentiers où se cache l’inexpliqué.
Les années passèrent encore, et j’avais quitté Paris. Je traversais les Cévennes à pied, j’y reviendrai, sur les traces de Robert Louis Stevenson afin d’écrire un livre, et c’est dans le Gévaudan sauvage, un soir d’automne et de brume, que je revis Claude Seignolle, arpentant la montagne. Cette fois, point de poète à ses côtés. Personne. Seulement, dans le lointain, la nuit qui descendait et « ressemblait à un cri de loup ». C’était bien lui, au cœur de mon histoire. Et il parlait à haute voix. Je m’approchai, mais le vieil homme avait disparu. Une fois encore, cette absence d’explications ne me troubla guère. En revanche, je restai coi en apprenant à mon retour que, presque cinquante ans avant moi, Claude Seignolle, le « traceur de mémoires », avait lui aussi traversé le Languedoc des Cévennes à la mer, afin de retrouver les pas d’un certain Robert Louis Stevenson. Inutile d’inventer, il suffit de ramasser les bouts d’histoires tombées sur le chemin.
« Pas d’autres littératures que celle qui naît de faits à l’état brut »
Après la parution du livre qui relatait mon voyage dans les Cévennes, je reçus par la poste Promenade à travers les traditions populaires languedocienne de Claude Seignolle. En ouvrant l’ouvrage épais, une longue lettre manuscrite, écrite à même le livre m’attendait :
Cher Éric Poindron, poète et voyageur frère aux découvertes insolites, aux amis multiples que je redécouvre dans ton votre excellent ouvrage Belles étoiles que l’ami Jacques Baudou a eu la bonne idée de nous faire savoir dans Le Monde et sur lequel je me suis précipité. Apprenez que le nom seul de Stevenson me ferait dévorer le papier sur lequel on le republie. Vous avez fait le pèlerinage en un éclectique ouvrage, acceptez que le « beau (?) vieillard » rencontré sur une route de Lozère vous offre le produit de sa quête auprès des esprits anciens rencontrés, avec tout autant de fascination que vous.
Le livre est ici dans son jus : pas d’autres littératures que celle qui naît de faits à l’état brut. En mon temps, personne ne se souvenait de Robert Louis Stevenson, et pourtant, tous en étaient plus ou moins contemporains. Mais j’ai vu « d’en-dedans » ce que lui a vu « d’en-dehors », et à ce titre, mon affection pour l’homme et l’écrivain francophone s’amplifie de reconnaissance.
Vous avez une chaude et féconde plume et des amis de tous les temps ; les vôtres sont en partie les miens que j’ai souvent honorés de livre-frère ; Nerval dans La Nuit des halles, ainsi que Restif de La Bretonne, mon pote, aux témoignages gonflés de ses propres fantasmes. Tous ceux que vous dites : nos frères, c’est-à-dire nous. Et je vous salue bien fort avec mes compliments sincères.
Claude Seignolle
Voilà comment nous devînmes amis. Au fil des ans, Claude m’a envoyé de nombreux livres – dans lesquels il glisse chaque fois des reliques, des articles découpés, des images, des photographies et des mots amicaux – et je ne peux compter les nombreuses heures passées au téléphone à écouter ses anecdotes fécondes et sa verve vivifiante.
Je me souviens des mots que Jacques Bergier avait écrits à sa belle intention : « Peu de gens malheureusement se donnent la peine de recueillir et de noter le folklore de nos campagnes et de nos villes. Claude Seignolle s’y acharne, et j’attache une grande importance à ses travaux. Il ne prétend émettre aucune théorie et il a raison ». Et le magicien Bergier d’ajouter : « Claude Seignolle décrit des événements non pas des expériences ; cela ne l’empêche pas d’être passionnant au point de vue scientifique. Et le fait d’être intéressant au point de vue scientifique ne l’empêche pas d’être passionnant ».
Avec l’ami Claude, nous avons continué à converser, à collecter et à fréquenter ce lien de confidence, dont il faudra toujours être en quête de l’adresse et qu’il a baptisé « Au château de l’étrange ». C’est un lieu-dit et improbable comme un Argol, à l’intention de quelques fous, de quelques mordus par les cauchemars qui sont les bas et fins fonds de notre « imaginaire-vrai ».
Ami lecteur, si tu veux chercher avec nous, prends la route et fais silence à défaut de vœux. Rendez-vous en l’étrange château. Et ne sois pas troublé par l’absence d’explications. Contente-toi de vous t’égarer et de jubiler devant le grand spectacle de l’inexpliqué.
Oui, toujours voyager dans les nuits inconnues et constellées pour mieux vérifier puis édifier ses rêves.
« Mais pour nous, poètes, est-il une limite, visible entre le vrai et l’imaginaire et ne souffrons-nous pas de nos rêves comme s’ils étaient réalité ? », n’est-ce pas Claude ?
Quelques livres à découvrir
Ils sont nombreux, fascinants, fantastiques, érotiques ou inclassables. Les loups verts où Seignolle mélange avec effroi sa propre histoire et la barbarie nazie, faisant des SS des loups-garous, est un très grand livre dérangeant. La Gueule, qui raconte en partie sa captivité dans l’Allemagne nazie est aussi un livre majeur. L’auteur écrit comme on martèle et se dévoile. Ici, la peur, la folie et la faim prennent des allures de danse macabre. Son œuvre érotique, quoique peu importante est aussi magistrale. Je pense bien sûr à L’éloge de la nymphomanie, un livre exalté qui célèbre le sexe et le corps, longtemps interdit et qui aurait mérité de faire partie de « L’enfer de la Bibliothèque Nationale » aux côtés des très grands textes licencieux.
Les Evangiles du diable est un livre considérable qui n’a jamais de fin, à la manière des Mille et une nuits. Claude Seignolle se fait collecteur, chercheur d’or(s), ethnographe et conteur de tout premier ordre. C’est un peu son « grand œuvre », au sens où l’entendent les compagnons. On pourrait presque croire que c’est le livre d’une vie, et pourtant, l’œuvre de Seignolle est si vaste que l’on pourrait croire qu’il possède plusieurs vies. Ou que le diable est allé à confesse et lui a prêté main forte.
Enfin, il est impossible de ne pas évoquer, et même saluer, La Nuit des halles qui est un livre enivrant, fascinant. C’est pour moi le chef-d’œuvre de Claude Seignolle. Ici, l’écrivain est tout entier et magicien. Il se fait piéton d’un Paris disparu et passe-muraille. Il joue avec les époques, convoque Villon, Gérard de Nerval, Restif de la Bretonne et tous les fantômes considérables d’un Paris qu’il réinvente pour mieux lui rendre hommage. Ouvrez-le livre à n’importe quelle page, commencez la lecture et vous passerez de l’autre côté du miroir. C’est un texte fascinant que l’on peut relire et relire.
Chaque fois, l’auteur déniche à notre intention une nouvelle pépite. Ici, point de ville Lumière mais au contraire une ville sombre et sépulcrale, celle des halles de naguère et de l’église Saint-Merri, de la tour Saint-Jacques ou de l’Île Saint-Louis. À la fois déambulation, confession, nouvelles, histoire insolite d’un Paris « alchimiste », La Nuit des halles est l’enfant réussi de la poésie urbaine et du fantastique. La bibliothèque de « l’honnête homme » est incomplète si ce très grand livre en est absent.
Claude Seignolle en un seul titre
Autrefois paru sous le titre Invitation au château de l’étrange, cet ouvrage de Claude Seignolle paraît dans une nouvelle version revue et corrigée.
Ce n’est pas moi qui ai choisi de rééditer ce livre, c’est Claude qui me l’a proposé et, bien évidemment, j’ai dit oui sans réfléchir puisque ce texte fait partie de mes lectures favorites. C’est un livre unique en son genre et unique dans l’œuvre de Claude, mélangeant avec astuce des faits presque cliniques et un climat romanesque. Nous ne sommes pas très loin du « réalisme fantastique », cher à Bergier et Pauwels, mais aussi d’écrivains comme Maurice Renard ou l’immense André Hardellet qui était un ami de Claude.
Véritable livre culte, cet « étrange objet » (épuisé et recherché par les amateurs de peurs insolites et de fantastique urbain) s’adresse à tous ceux que fascinent les aventures inexpliquées, et peut donner de l’imagination au lecteur, comme cette histoire de carrosse volant qui s’enfonce dans les bois où s’élevait jadis un château. J’avoue avoir aussi un faible pour une histoire absurde et cruelle où un vieil érudit démonologue vend sa bibliothèque ésotérique. Tout cela se terminera fort mal. Oui, ce château est bien étrange et il faut un certain courage pour s’approcher des fossés à travers les ronces hargneuses…
Spectres, apparitions, dames blanches, présences sournoises ou maléfiques, envoûtements et conversations avec l’au-delà, sont quelques-uns des thèmes effrayants abordés. Pourtant, ici, point de fiction ni de sensationnalisme convenu. Claude Seignolle se contente seulement de recueillir des témoignages qu’il met en scène jusqu’à la grande peur finale. « Scribe des miracles et des peurs ancestrales », il archive, éclaire, recense, sans jamais juger. Le résultat est fascinant, obsédant, dérangeant.
Au Château de l’étrange est un livre unique et inclassable, ce qui peut expliquer la fascination qu’il exerce sur le lecteur. C’est un mélange savant et réussi de traditions ancestrales, de nouvelles fantastiques et d’écriture romanesque. L’écrivain propose et le lecteur dispose. Les lecteurs incrédules pourraient se mettre à douter et les autres s’égareront avec délice dans les chemins où rôdent la peur et les mystères.
Et s’il existait « autre chose » à côté de nos certitudes ? En chasseur de fantômes avant l’heure, Claude Seignolle nous invite au cœur des mystères : lieux étranges et maudits, voyage dans le temps, prémonitions, présences invisibles, personnages insolites et monstrueux, magie et sorcellerie. Oui, la peur rôde au cœur de ces pages… Voilà le lecteur prévenu.
Eric Poindron
Au Château de l’étrange, Claude Seignolle, préface de Éric Poindron, Le Castor Astral, collection « Curiosa & cætera »
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