Cindy Sherman, Eva Respini, Collection Catalogues d’exposition Hazan, Paris
Cindy Sherman, jusqu’au 11 juin 2016, Metro Pictures, New-York
Cindy Sherman : les surannées
Après cinq ans de retrait, Cindy Sherman fait un retour sur un « terrain » a priori inattendu ? Celle qui disait il y a quelques années « Le passé ne passe plus dans mes œuvres, elles sont créées contre lui pour des extases négatives », l’artiste crée l’équivoque. Un doute apparaît sur ses fondamentaux. Celle qui refusait que le corps de la femme soit une machine à fabriquer du fantasme ou d’écrin semble changer de cap.
Mais qu’on se rassure : l’artiste pastiche l’univers du portrait tel qu’il fut décliné au cinéma de l’entre deux-guerres et en particulier du cinéma muet. L’artiste rameute les « climax » et les ambiances du genre en éloignant tout artifice par l’artifice lui-même. Au moment où elle semble jaillir, l’activité mimétique de la photographie capote. Et comme dans le Portrait ovale de Poe, si la vie semble passer intégralement de la réalité à l’art, les deux sont laissés pour « morts ».
Le meurtre restera bien sûr métaphorique. Ce qui n’exclut pas pour autant sinon sa violence du moins son humour. Et ce jusqu’au jeu de chat et de la souris que Sherman entretient avec la presse quant à sa présence dans ses « autoportraits ». L’artiste sème le doute. Et lorsque le célèbre présentateur de This American Life (Ira Glass) après l’avoir croisée dans une de ses expositions au Moma où elle s’était présentée à lui, elle dément l’anecdote lorsqu’elle fut invitée à son show. Celle qui s’était affirmée en tant que Cindy n’aurait donc été qu’une contrefaçon. Mais qui croire ?
En effet, l’artiste ne cesse depuis plus de 40 ans de jouer avec ses propres images au nom d’une pétition de principe « Qui est réellement Cindy Sherman ? » Beaucoup estiment que la réponse faite à Ira Glass est un mensonge. Au moins en partie. Bref le doute subsiste et il n’est pas levé dans ses nouvelles œuvres.
Devenant plus âgée, la photographe se livre de manière classieuse et glamour pour imposer une vision plus douce et belle. Il ne s’agit pas pour elle de jouer les « précieuses » (toujours) ridicules, mais de tourner en dérision une société qui n’a de cesse d’élever à la jeunesse un culte païen. Rappelons que les nouveaux mannequins sont pratiquement pré-pubères…
Dans ces nouvelles prises, l’artiste se plaît plus que jamais à jouer les caméléons. A « l’importance d’être honnête » chère à un célèbre dramaturge anglais, l’artiste ajoute une version inverse. Mais dans le même moment, et c’est bien là tout le charme de l’œuvre.
Cindy Sherman ne se barre aucune route : à l’inverse elle les assume. D’autant que ces autres « voies » font partie de sa personnalité. Plus que « meurtrière » de son auto-modèle, l’artiste s’en veut l’esclave consentante, ce qui ne l’empêche pas de déroger à sa règle et de faire appel au besoin à d’autres mannequins.
Au crime de lèse-majesté fait place un voyage initiatique. Il permet non seulement de prendre le bas pour le haut, l’obscurité pour la lumière mais offre la possibilité de reconsidérer les rapports humains et ceux que les spectateurs entretiennent avec leurs « chères » images.
Cassant le système de narration iconographique par divers types de décalages, Cindy Sherman modèle un nouveau regard entre le familier et l’inconnu, le passé et le présent, la vérité et le mensonge. Face à l’ostentation programmée, ses reprises soulèvent bien des questions auxquelles elle ne prétend pas donner de réponses claires. Se « grimant » en figures génériques d’une mythologie populaire, elle en assume le rôle. Ses images deviennent des signes de failles qui parcourent la culture occidentale comme le temps propre (et compté) de l’artiste.
Jean-Paul Gavard-Perret
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