Chien sauvage, Pekka Juntti (par Didier Smal)
Chien sauvage, Pekka Juntti, éd. Gallmeister, septembre 2023, trad. finnois, Johanna Kuningas, 464 pages, 25,40 €
Edition: Gallmeister
Ce premier roman d’un journaliste finlandais impliqué dans la cause environnementale raconte une belle aventure humaine : celle de Samuel, jeune homme âgé de dix-neuf ans, qui part vers le Grand Nord, la Laponie, pour vivre son rêve, devenir meneur de chiens de traîneau. Arrivé dans l’élevage tenu par Matti et Sanna, il est confronté à la réalité la plus crue, celle du nettoyage des cages, de la mise à mort d’un chien incapable de survivre dans ces terres sauvages, mais aussi celle des visiteurs à qui il faut sourire et parler – mais le plaisir des chiens l’emporte. L’aventure se concrétise lorsque Trond, un autre musher, perd deux chiens qui s’ensauvagent aussitôt, Nanok et Inuk. Pour Samuel, qui désire avant toute chose échapper au sort familial, celui de la mine, c’est l’envol vers son rêve : après avoir capturé Inuk, retrouver Nanok en respectant la forêt, les us des éleveurs de rennes, bref être l’égal des personnages du roman Baldy de Nome, signé Esther Birdsall Darling, qui l’a envoûté enfant.
Ce résumé donne envie de Chien sauvage, car on adore les récits de Jack London et qu’on veut croire que l’aventure peut reprendre un siècle plus tard. Las ! la psychologie et l’université, avec son appareil critique narratologique, sont passés par là entre-temps, et tant le fond que la forme de Chien sauvage s’en ressentent. Pour le fond, les accès psychologisants sont vite lassants, car on n’y lit aucun désir d’explorer l’âme humaine, quitte à plonger dans ses plus ténébreuses profondeurs, mais juste la narration des tourments de personnages auxquels on peine à s’attacher, sauf à considérer les passages les plus « finlandais ». Pour la forme, là, c’est tant le ton que la construction du roman qui agacent par leur modernisme – qu’on ne confondra pas avec la modernité.
En effet, il faut une dizaine de chapitres pour comprendre que ce qui semble des chapitres épars, comme des parenthèses dans une narration située pour l’essentiel en 2009, sont les chapitres narrant la réclusion de Samuel dans une cabane perdue au fond des bois, avec tout ce que cela suppose de chipoteries narratives (une page complète sur l’aspect de ses doigts, entre autres). Et bien sûr, d’autres chapitres, datés eux de 1944 à 1949, sont la narration de la vie d’une jeune femme, Aila, dans la ferme à laquelle cette cabane étaient attenante, narration rendue possible par la découverte d’un classeur contenant des lettres et autres coupures de presse par Samuel. Bref, c’est le petit jeu moderne de la construction du roman, qui doit éblouir, étonner le lecteur par sa triple temporalité, à défaut que ce soit l’histoire en tant que telle – une histoire qui mélange un peu tout, du roman d’aventure au roman d’enquête, avec un rien de passion pour pimenter la narration.
Mais là ne s’arrête pas le problème du fond : la parole donnée à Samuel, âgé de dix-neuf ans en 2009, permet que fusent les « fils de putes » (pour qualifier des éleveurs de rennes lassés par la recherche de Nanok et Inuk), ou que soit décrite une jeune femme comme ayant « un visage symétrique, des lèvres pulpeuses, “amies du pénis” ». Ce n’est qu’occasionnel et ce n’est pas qu’on soit prude, mais toute la noblesse revendiquée du roman d’aventure comme confrontation à une nature extrême s’en trouve quelque peu amoindrie, pour dire le moins. Et il en va de même pour le goût très contemporain du détail sordide qui, suppose-t-on, « fait vrai » mais n’en reste pas moins sordide.
En conclusion, une belle idée narrative, qui fait revivre l’aventure du Grand Nord, qui met au contact avec les huskys et ceux qui vivent à leurs côtés, mais qui pèche par modernisme. Pour qui ce modernisme est acceptable, voire recherché, Chien sauvage sera une belle lecture ; pour qui y est allergique, l’agacement risque de l’emporter.
Didier Smal
Pekka Juntti (1960) est un journaliste finlandais. Chien sauvage est son premier roman.
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