Chien Brun, Jim Harrison (par Marie-Pierre Fiorentino)
Chien Brun, Jim Harrison, Folio, octobre 2023, trad. anglais (USA), Brice Matthieussent, 128 pages, 3 €
Ecrivain(s): Jim Harrison Edition: Folio (Gallimard)
Chien Brun, la quarantaine déglinguée, est en couple avec Shelley. Cette étudiante prépare un diplôme d’anthropologie tout en se risquant à l’analyse de son compagnon, plus enclin à noyer ses déboires dans de mémorables cuites qu’à s’épancher sur le divan d’un psy. Mais les sentiments de la jeune femme sont-ils sincères ou ne voit-elle dans Chien Brun qu’un descendant des Amérindiens – qu’il n’est, malgré les apparences, pas –, capable de lui indiquer une sépulture rare dont les fouilles la rendraient célèbre dans son milieu ?
« Shelley et moi sommes ensemble depuis environ deux ans, et notre amour se fonde sur une petite entourloupe, sur un mensonge véniel », reconnaît, lucide, Chien Brun dans ce texte où le « je » n’est jamais larmoyant. Car Chien Brun se raconte avec une déconcertante sincérité, probable recette de l’attachement des lecteurs d’Harrison et de la prédilection de celui-ci pour sa créature puisque le personnage reviendra par cinq fois dans l’œuvre du romancier (1).
Orphelin, élevé par son grand-père, Chien Brun fut rejeté par le premier amour de sa vie, Rose. « J’ai sans doute été un enfant peu sympathique », suppose-t-il pour trouver une excuse à celle qui, trente ans après, n’est guère plus amène avec lui. Car quand Chien Brun en veut à quelqu’un, c’est plus souvent à lui qu’aux autres. À moins qu’il ne s’estime trahi ; il est alors capable de colères qui le font déraper hors des limites de la loi.
Il franchit aussi ces limites s’il a vraiment besoin d’argent ou si son désir, aussi impossible à réaliser soit-il, mérite à ses yeux une tentative désespérée. Ainsi en va-t-il avec le cadavre d’un Indien, trouvé au fond du Lac Supérieur, dont il se persuade qu’il s’agit de celui de son père. C’est pourquoi Shelley, issue des classes supérieures, est aussi sa garante devant la loi car la prison guette ce marginal récidiviste.
Chien Brun sent peser sur lui tout le poids de ses délits passés qui le désignent, plus qu’un autre, à la police. Il ne se complaît toutefois pas dans le déterminisme social, trop attaché à la liberté. Il ne manque d’ailleurs ni d’optimisme ni d’humour : « Grand-père disait toujours que je m’épanouirai sur le tard : j’attends donc encore beaucoup de la vie ».
Harrison mêle péripéties les plus improbables et traits bien sentis contre certains travers politiques, sociaux et juridiques de son pays, souvenirs intimes et scènes érotiques. Il entraîne ainsi le lecteur européen, peut-être étasunien aussi, dans un voyage dépaysant tant son personnage se sent appartenir au Michigan rural et natal du romancier, aux antipodes naturels et culturels des grandes métropoles des côtes Est ou Ouest. Brice Matthieussent nous y amène avec lui, traducteur attitré dont la familiarité avec l’œuvre d’Harrison fait de chaque publication un peu son œuvre aussi.
Marie-Pierre Fiorentino
(1) Les éditions Flammarion ont regroupé ces six textes, disséminés dans différents recueils de nouvelles, en un seul volume intitulé Chien Brun, L’intégrale, en 2022.
Jim Harrison (1937-2016) retrace dans En marge (2002), ses mémoires, le parcours d’abord chaotique qui fut le sien depuis la poésie jusqu’aux nouvelles longues et aux romans qui lui valent la reconnaissance. Légendes d’automne (1979), Dalva (1987), La femme aux lucioles (1990), comptent parmi ses œuvres les plus connues. Récompensé par le National Endowment for the Arts, c’est pourtant en France qu’il trouve son lectorat le plus enthousiaste. Son nom est ici devenu indissociable de celui de Brice Matthieussent, son traducteur, auteur d’un livre et d’un documentaire sur l’écrivain.
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