Chez les fous, Albert Londres
Chez les fous, 78 p. 0,99 € (téléchargeable)
Ecrivain(s): Albert Londres Edition: Editions de Londres
« Loi de 38 secret professionnel vous ne verrez pas la vie des fous (…) alors j’ai cru qu’il serait plus commode d’être fou que journaliste ».
Voici résumés le ton, la forme, la démarche journalistique et poétique d’Albert Londres. Nous pourrions dire que ce livre se veut être l’investigation d’un journaliste sur le milieu psychiatrique et asilaire du début du XXe siècle, où l’on trouve quelques données statistiques, quels constats effarants sur la cruauté des conditions et des traitements – camisoles, ceintures de force, cordes coûtant moins cher que des baignoires, on ligote au lieu de baigner –, des observations philosophiques sur la place sociale du fou, un certain point de vue politique lui-même sur ce que le traitement de la folie révèle d’une civilisation. Mais après tout ce n’est pas seulement pour cela que vous lirez ce livre, il y a tout ceci et plus que ceci. Albert Londres exerce un journalisme tout particulier où se mélangent l’observation personnelle, voire affective, une ironie et beaucoup d’humour, un récit oscillant entre l’observation et la narration romanesque, toujours porté par la poésie des fous dont il relate la parole.
Ce petit livre est donc comme le récit d’une excursion au milieu des fous, A. Londres a pour eux une observation et une écoute respectueuse et émue. Il lit en la marginalité un ordre linguistique différent (les discours sont en apparence incohérents et pourtant sont des agencements symboliques très précis et très organisés) et une capacité poétique vivace. La majeure partie de son texte consiste à nous relater ses rencontres et écrire les délires tels qu’ils s’exprimaient.
Albert Londres appréhende le fou non comme un homme sain ni comme aliéné, mais se place en dehors de ces deux postures afin d’accueillir, telle qu’elle se donne, chaque rencontre. Ne tentant ni de comprendre ni d’analyser, il écoute le médecin et le fou comme deux discours, le premier ayant triomphé pour des raisons pratiques, utiles, d’organisation, tandis que le second est châtié de son manque d’adaptation sociale. Le fou qui, au XXe siècle, est un qualificatif encore peu médical, peu psychiatrique et peu précis, a permis de désigner, comme tel, quantité de gens qui n’étaient pas aliénés (deux tiers des internés n’étaient pas aliénés) mais seulement marginaux, déphasés, déprimés, extravagants. L’asile était un débarras commode de ce que la société ne pouvait accueillir de différent. Si des véritables cas pathologiques se trouvaient là à raison, Albert Londres perçoit la folie comme un discours dont l’ordre propre est rejeté par la société, dont la souffrance est niée : « On devrait les aider à sortir de leur malheur, on les punit d’y être tombés ».
Le discours fou est un autre discours, mais il ne paraît désobligeant, ridicule, stupide ou inquiétant qu’en rapport avec la norme sociale imposée. Loin de réclamer une république des fous, A. Londres constate simplement que le fou est un « roi solitaire », et que sa solitude consiste précisément dans la poésie propre qui lui sied. Son constat journalistique se résumera quant à lui à déplorer la cruelle fabrication de la folie de ces asiles, où nul droit n’est donné à ses internés dont la persécution, bien avant l’asile, commence déjà dans leur esprit, et qu’il s’agit d’aider plutôt que de punir.
Sophie Galabru
- Vu : 8189