Chemin de bois près des cabanes - Trois variations sur une plage
À Olivier Rouquette, pour sa photo
Chemin de bois près des cabanes
Trois variations sur une plage
Mini-nouvelles de 150 mots
1
La nuit est tombée sur la plage. C’est le début de l’automne, il fait à peine frais. Le long des cabanes closes le chemin de planches est désert. Il a plu ; la lune qui joue avec les nuages projette ses reflets changeants sur le bois. Une silhouette frêle mais décidée s’approche. Une adolescente. S’étant assurée d’être seule, elle se déchausse et danse sur les planches. Danse on ne sait quoi. Elle danse de tout son corps, de tous ses gestes, de toute sa joie. Elle semble faire offrande du mouvement qui l’anime. La mer un peu plus loin, en ressac au pied des galets, rêve tout bas. La jeune fille danse. Le vent se rapproche, veut l’entourer ; elle s’en dégage. Elle danse. Aux balcons du ciel, des étoiles penchées lui lancent des clignotements. Elle danse encore longtemps, longtemps. À la fin, sa révérence rencontre l’assentiment recueilli du silence.
2
– Ch’était génial, j’t’achure… J’aspirais ma salive qui avait trouvé par où sortir. Ch’te vue en un éclair ! Chuper, j’recommencherai… Elle me trouvait une drôle de voix allumée-triste.
– Allô ? chi j’délire ?… Mais non ! Chuis à l’hochto depuis hier. Cha ch’est paché comme cha…
Je lui ai raconté : on avait bu entre copains, trop de canettes. On était chauds. Vers le soir, ayant eu envie de sortir, on s’était retrouvés sur la plage à courir sur les planches en martelant du talon, en déconnant. Manu s’était demandé où était sa gazelle. Il était paf. Moi aussi mais je savais. Un peu après j’avais déboulé de loin sur la vieille moto, vroooom, à fond sans casque, et alors sur le bois et les galets, freinage à mort et vol plané ! Les galets, c’est pas tendre… De quoi avoir un nez pété et plus d’une dent contre eux.
3
La vieille dame m’a souri. Ridée mais élancée, vive. La plage est tranquille. Saison basse. Nous marchons sur les planches le long des cabanes fermées pour la plupart, tout en parlant. Je ne lui confie pas que j’y ai fait de la moto folle, mais que j’aime y marcher pieds nus n’importe quand.
– Moi, c’était pareil. J’adorais, mais seulement la nuit.
Mon silence l’encourage.
– Voyez-vous, dans ma jeunesse je n’aimais que danser. Pas sur des airs. Je préférais le silence. Ça me rendait si heureuse… Alors de nuit, toutes ces années avant de rencontrer mon mari, il fallait voir.
Elle rit soudain.
– Oh, en fait, personne ne voyait. Mais c’était si bien… J’évoluais sur mes planches, en m’inventant un public, quoi.
– …
– Je ne serai pas devenue danseuse. Mais… c’est là !
Soudain juvénile, elle appuie un index sur mon thorax.
Elle esquisse deux, trois pas. Et puis s’en va.
Clément G. Second
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