Châteaux de sable, Louis-Henri de La Rochefoucauld (par Philippe Chauché)
Châteaux de sable, Louis-Henri de La Rochefoucauld, août 2021, 256 pages, 19 €
Edition: Robert Laffont
« Notre amicale de descendants de guillotinés triés sur le volet se réunissait trop rarement. Il aurait fallu se voir une fois par mois sans que personne ne le sache, dans des lieux secrets : le cimetière Picpus, un salon du Jockey Club, les jardins du château de Versailles, le sous-sol de la Chapelle expiatoire… ».
Le narrateur de ce roman virevoltant n’est autre qu’un descendant de La Rochefoucauld, un nom qui s’accorde avec l’Histoire de France, celle de l’Ancien Régime, avec ses sauts et soubresauts, ses passions et ses trahisons, ses mensonges et ses gloires. Difficile de passer à côté de l’Histoire lorsque l’on descend de La Rochefoucauld-Liancourt qui prévient Louis XVI de la prise de la Bastille. Difficile d’oublier son histoire lorsque l’on apprend que les La Rochefoucauld détiennent le record du nombre de morts sous la Révolution française, quatorze au total, de Pierre-Louis et François-Joseph, deux évêques, assassinés à la prison des Carmes, à Anne, guillotinée place de la Révolution – Nous avions payé cher le prix de l’agitation populaire. Le jacobinisme était-il un humanisme ? Vous avez quatre heures.
La Révolution française et la terreur étaient déjà au cœur de son roman La Révolution française, comme d’ailleurs l’étaient la littérature et les romanciers que l’auteur lisait, avait lu ou lirait : Chateaubriand, Saint-Simon, Chamfort, Laclos, Kafka et d’autres encore, tout aussi fréquentables que réjouissants. Châteaux de sable est un roman tout aussi passionnant qu’il est drolatique. Le narrateur qui vit plus ou moins de sa plume, rencontre l’écrivain Andreï Makine pour en brosser le portrait : « Quant à Makine, académicien atypique à la carrure d’ancien du KGB et à la belle gueule anguleuse de statue soviétique, avec son regard d’acier qui vous transperçait, il semblait vouloir vous hypnotiser, vous endormir – et pourquoi pas jeter votre corps dans la Volga », et lui livre l’histoire des La Rochefoucauld sous la Révolution ; l’académicien l’invite à en faire un roman qui lui collerait à la peau, et comme les clins d’œil de l’Histoire ne manquent jamais de piquant, une réclame pour un mascara prenant modèle sur la Révolution en citant son aïeul, pousse le narrateur à se lancer dans une nouvelle aventure tout aussi révolutionnaire : rencontrer Louis XVI et écrire le roman de sa vie, qu’il baptise Le Colosse aux pieds d’argile. Sous sa main royale, il devient prince de Passy et chevalier de Louis XVI, c’est sa recherche d’une noblesse perdue.
« C’était la première fois que je rencontrais un personnage historique. Forcément, ça m’a tracassé. Le choix de son adresse, impeccable, m’a paru limpide : quai de Bourbon, parce que c’était son nom, numéro 17, en hommage à son fils, Louis XVII. Mais pourquoi Louis XVI avait-il opté pour le pseudonyme un peu ridicule de Robinson ? ».
En bon écrivain, le narrateur avide de savoirs multiplie les lectures d’ouvrages où l’on donne à Louis XVI la part belle, et d’autres plus acides sur le roi guillotiné. Il est l’hôte du roi, ou de son fantôme, dans son Île aux trésors des bords de Seine, qui lui ouvre sa bibliothèque : « N’en déplaise aux mauvaises langues à la Zweig, Louis XVI n’était pas qu’un gros monsieur : c’était un grand lecteur ». De Daniel Defoe, il avait entrepris, enfant, de traduire Robinson Crusoé, il devint Robinson pour les contemporains de l’auteur, et de David Hume. Il y croise également la reine Marie-Antoinette – La tour du Temple est l’Enfer –, fréquente un bar clandestin repaire de royalistes, tenu par un certain Lemoine, puis quelques membres de la 2e DB, devenue 2e division bourbonienne, partagés entre intégristes et modérés, mais tous fidèles au trône. Assiste à la messe anniversaire en souvenir de Louis XVI, et croise le fer avec notre époque, qui compte elle aussi ses sans-culottes – « … en cet automne 2018, le sol tremblait de nouveau en Europe, le climat social était chaud, orageux, il y avait de la révolution dans l’air… ».
Louis-Henri de La Rochefoucauld est un écrivain gourmand de l’Histoire de la Révolution, de celle d’un roi et d’une reine guillotinés, des trahisons et des fidélités, de celle finalement d’ancêtres qui ne manquaient ni de force, ni d’humeur face aux turbulences du siècle des Lumières, qui fut aussi celui d’expéditives condamnations à mort. Le siècle du verbe dans les salons fut aussi celui du sang répandu sur les places publiques. Louis-Henri de La Rochefoucauld est un écrivain qui goûte la langue française des romans d’aventure, des Mémoires, des romans qui galopent, avec leurs héros et leurs traîtres, des livres d’Histoire que l’on s’offre de père en fils, comme se transmettent demeures et châteaux, et des livres où personne ne se prend au sérieux. Louis-Henri de La Rochefoucauld réussit là un roman qui sourit au Roi pour le plaisir romanesque de le faire revivre. Il apparaîtra comme il disparaîtra dans ce roman ingénieux et rieur, comme les aimables fantômes du château de sa grand-mère qui se font entendre à ceux qui ont l’ouie fine, des ancêtres qui s’ennuient et qui rêvent peut-être d’être les invités du prochain roman d’un descendant qui se prénomme Louis-Henri. Tout un roman ! se disent-ils sûrement. Et ils ont grandement raison.
Philippe Chauché
On doit notamment à Louis-Henri de La Rochefoucauld : Mémoires d’un avare (éd. du Cerf), La Prophétie de John Lennon (Stock), Le Club des vieux garçons (Stock), ou encore Gaudriole au Golgotha et La Révolution française (Gallimard). Il est également critique littéraire.
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