Chansons d’amour et de pluie, Sergi Pàmies
Chansons d’amour et de pluie (Cançons d’amor i de pluja, 2013), nouvelles traduites du catalan par Edmond Raillard, mars 2014, 144 pages, 16,50 €
Ecrivain(s): Sergi Pàmies Edition: Editions Jacqueline Chambon
Sans vraiment défrayer les chroniques et le monde de la critique littéraire, il se pourrait bien que Sergi Pàmies soit un des auteurs catalans et catalophones les plus traduits en France : 10 titres publiés en catalan, 10 titres traduits ! Mais il n’est pas vraiment connu des lecteurs français. Il faut dire qu’il accumule les freins à une notoriété hexagonale : il écrit dans une langue qui ne provoque pas forcément l’intérêt de la critique, plus portée à rendre compte des traductions de l’anglais, de l’américain, de l’anglo-américain ou, à la rigueur, de l’américano-anglais ; il est traduit chez un petit éditeur que les médias les plus lus, écoutés, regardés, ont quand même tendance à négliger ou à oublier, voire à ignorer ; par dessus tout, il persiste à écrire des nouvelles, genre majeur dans d’autres pays mais très peu vendeur en France.
Le fait d’être né à Gennevilliers et de parfaitement maîtriser le français (il traduit en catalan Guillaume Apollinaire, Daniel Pennac, Jean Echenoz, Amélie Nothomb et quelques autres) ne suffit apparemment pas à compenser tout cela (avouons qu’il a rejoint la Catalogne et la langue catalane dès ses 11 ans). Et pourtant…
Et pourtant, il maîtrise l’art de la nouvelle, du récit bref, voire de la micro-fiction, comme l’on dit, avec une indéniable maestria. Le dernier recueil paru, Chansons d’amour et de pluie, est un vrai bonheur pour les amateurs du genre, et peut offrir aux autres l’occasion de s’y initier. Si ses personnages (qui semblent parfois beaucoup lui ressembler) font souvent l’expérience d’un échec, ou à tout le moins de quelque chose qui ne va pas, mais pas du tout, dans leur vie, ils savent comme l’auteur/narrateur rebondir et ne pas désespérer. Ils jonglent avec l’absurde, l’ironie et l’autodérision avec une justesse et une imagination qui peut emporter l’adhésion des plus rétifs, des dépressifs les plus rationalistes. Mais n’allez pas croire que tout n’est que fantaisie, dérision, sous les mots transparaissent les inquiétudes, les grandes interrogations, la biographie inquiète et les enjeux de société.
C’est que l’auteur, qui écrit aujourd’hui régulièrement dans les colonnes de La Vanguardia, le grand quotidien catalan après avoir écrit pour El Pais durant 10 années, est tout sauf un écrivain retiré du monde dans une tour solitaire pour grand auteur. En toute simplicité, sans se départir d’une solide et revigorante dose d’humour, il nous fait part de ses interrogations d’écrivain, qu’il s’agisse du trac et de la timidité qui le saisissent lorsqu’il rencontre le grand Paul Auster, de ses envies de dédicaces et de remerciements pour finir un livre, sur la façon de conduire un récit et de construire des personnages qui lui échappent, de l’angoissante question de la notoriété et de celle de l’oubli (faut-il figurer dans le top 10 dont on veut connaître le top 50 ?)… De la même façon, toujours empreinte d’ironie, il interroge la façon dont la mémoire se transmet, dont l’histoire aléatoire transforme des vies ordinaires en grands destins héroïques, vite oubliés passé l’heure des funérailles, nous ouvrant alors à une histoire familiale où le personnage de la mère, écrivaine militante qui connut l’exil autant que la célébrité, s’affirme, sans panégyrique ni rancœur (27 œuvres publiées en catalan, aucune traduite en français).
Tuer le temps, négocier l’amour et la mort, être mouillé, sous la pluie et/ou amoureux, donner son corps à la littérature, remercier… autant de question plus essentielles qu’il n’y paraît et auxquelles Sergi Pàmies tente de trouver des réponses, avec un sérieux qui ne se prend pas au sérieux. L’équilibre entre gravité et légèreté est érigé ici en style littéraire et même en style de vie. Pour nous lecteurs, c’est le sentiment de tenir entre les mains un de ces livres qui nous apprend à vivre, à savoir vivre, à porter sur le monde un regard qui rend les choses plus « supportables », à commencer par nous-mêmes.
Marc Ossorguine
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