Celle que vous croyez, Camille Laurens
Celle que vous croyez, 192 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Camille Laurens Edition: Gallimard
C’est une passion poison, cachée derrière les masques de la virtualité, qui conduit Claire, cinquante ans plus ou moins, à l’hôpital psychiatrique. C’était un amour pas tout à fait à sens unique, mais pas tout à fait réciproque non plus. Un amour d’aujourd’hui, un amour 2.0. Un amour sans trop d’amour : une passion.
Le roman ouvre son rideau sur un monologue continu qui vous saute à la gorge. Claire voulait juste exister encore un peu, raconte-t-elle. Exister en tant que femme. « …qu’est-ce qu’il faut alors il faut vouloir cesser d’exister il faut se retirer de soi-même comprendre qu’on n’a plus rien à faire ici il ne sert à rien d’être jeune sans être belle ni d’être belle sans être jeune… ».
Chaque matin, son psychologue l’invite à raconter le pourquoi du comment. Comment, à travers un écran, Claire Millecam, quarante-huit ans, est devenue Claire Antunes, vingt-quatre ans. Comment a-t-elle pu, à ce point, se déconnecter de la réalité. « Comment en est-on arrivé là ? ». Claire tourne autour du pot, elle ment, elle dément ses démences. Elle a dérivé, déraillé, disjoncté. Claire n’a plus les idées claires. Elle s’est obstinée, s’est perdue, a sombré, petit à petit, dans la folie.
« Être folle ? Ce que c’est qu’être folle ? Vous me le demandez ? C’est vous qui me le demandez ? C’est voir le monde comme il est. Fumer la vie sans filtre. S’empoisonner à même la source ».
Chaque jour, elle réitère cette même tristesse envers une société dans laquelle l’homme est un privilégié, et la femme, un accessoire. « …alors ils disent Macron le ministre c’est louche sa femme qui a vingt ans de plus que lui tout le monde se marre faut vraiment que ce soit un pauvre type (…) Moscovici il a une femme qui a trente ans de moins que lui “La belle et le ministre” c’est les titres des journaux tandis que Macron c’est “Le séducteur de vieille” personne ne nous aime personne c’est horrible… ».
Dans ce roman composé de plusieurs parties, de plusieurs voix, le style de Camille Laurens est plus fort que jamais. Plus fort, plus ingénieux. Plus époustouflant. Le roman est LISSE ; il semble avoir été écrit mot à mot. Tellement rien ne dépasse, pas une petite écharde, pas la moindre lettre cornée. Tout est parfait, chaque phrase est une citation.
« La beauté, ça fait souffrir quand personne ne songe à vous l’offrir ».
Impossible de s’en détacher, le roman nous colle aux mains. L’intrigue, la construction originale, la délectation de chaque mot font que, à notre tour, on se prend de passion. De passion pour celle que vous croyez, et pas pour une autre.
Une lecture mêlée de fous rires et de grandes peines. Un chef-d’œuvre. Un cri.
Louisiane C. Dor
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