Céleste et Marcel, un amour de Proust, Jocelyne Sauvard (par Philippe Leuckx)
Céleste et Marcel, un amour de Proust, Jocelyne Sauvard, avril 2021, 336 pages, 19,90 €
Edition: Les éditions du Rocher
Ce trente-deuxième livre de J. Sauvard est un roman, bien sûr, mais qui se nourrit de La Recherche, des carnets de Céleste Albaret, et d’une grande connaissance des années 1918-1922, les dernières que Proust a vécues, dans les deux dernières de ses résidences : 102, boulevard Haussmann, et 44, rue Hamelin.
Céleste Albaret fut pour Proust, durant dix ans, une confidente, une gouvernante, une cuisinière, une correctrice, une amie. C’est elle, bien sûr, qui laissait entrer ou refusait toute personne désireuse de rencontrer le grand écrivain, reclus dans sa chambre d’écriture.
La romancière et essayiste Jocelyne Sauvard trame un texte romancé qui est tissé de plusieurs couches : il y a le récit des dernières années, riches en événements, en médications ; il y a les pages des carnets que Céleste tenait comme un journal, et il y a aussi, entrelardée dans le fil du texte, l’intervention d’une jeune fille amoureuse de Proust et de sa Recherche.
Tout se lit avec fluidité, intérêt ; le lecteur est plongé dans l’intimité des deux personnages : Céleste sans cesse à l’écoute d’un Marcel valétudinaire l’appelant à toute heure du jour, recueillant les propos et récits de ses sorties (au Ritz, ailleurs), lui servant, dans un total dévouement, de secrétaire, pour lire les épreuves, les corriger avec lui, coudre dans le texte du manuscrit les fameuses paperolles et autres becquets.
Céleste est indispensable, se dévoue corps et âme pour permettre à Marcel de poursuivre et d’achever le grand œuvre.
Le roman en profite pour rappeler les grands événements de la première Guerre mondiale, la reconnaissance de l’œuvre de Proust (le fameux Goncourt décerné au deuxième massif, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1919), les sorties de plus en plus comptées et malaisées de l’auteur qui, pour vaincre ses problèmes d’asthme, doit s’entourer de tout un bataillon de médications, de fumigations, de véronal et autre poudre calmante…
Céleste est là pour écouter le maître, pour entendre entre autres le récit de Robert et le chevreau, dont le manuscrit est perdu, et que Marcel tente de retrouver, par épisodes ; tout cela ponctue l’avancée du roman.
Céleste mentionne les amours féminines de l’auteur et ne songe jamais à impliquer Marcel dans ses amours interdites ; pour elle, les relations de Marcel avec ses amis ne lèvent aucun doute ; il n’est pas question pour elle d’homosexualité. Cet aveuglement, peut-être dû à l’affection qu’elle lui porte et à son éducation provinciale, jette une ombre au tableau ; le lecteur sait pour Proust et enregistre sans cesse, non pas des dénis, mais des informations biaisées par la lecture qu’en donne Céleste.
Il est vrai que la relation cloîtrée des deux peut avoisiner l’amour tant Marcel et Céleste vivent quasi en osmose dans cet espace limité de l’appartement. Une espèce d’amour, donc. La grande proximité intellectuelle des deux personnages est très bien rendue par les pages intimistes de Jocelyne Sauvard. La connaissance de Proust par elle rend plausibles les scènes inventées ou reconstituées. Il y a une matière romanesque, fidèle, réaliste. Les travers de Marcel, obsédé par sa maladie, par ses tocs de valétudinaire, sont très bien rendus. On pardonnera à l’auteure du roman d’avoir mal orthographié Vaudoyer, l’ami du « club des longues moustaches » en transformant son patronyme (Baudoyer). Broutille.
Les amateurs proustiens trouveront dans ce roman tous les atouts d’une vie recluse, les épisodes de relectures des livres de la fin (et ainsi les visites au bordel de la rue de l’Arcade, pour étayer les descriptions de Sodome et Gomorrhe).
Bien écrit, bien documenté, ce roman ravira le lecteur cherchant encore à affiner sa lecture du grand Marcel, disparu, cheveux noirs, à l’âge de cinquante et un ans, en novembre 1922.
Philippe Leuckx
Jocelyne Sauvard est romancière et essayiste française. Parmi ses nombreux ouvrages, citons : De Juliette Drouet à Victor Hugo ; Simone Veil, la force de la conviction ; Yvonne et Charles ; Jeanne Moreau, l’impertinente ; etc.
- Vu : 2018