Ce qui est arrivé à M. Davison, Jon McGregor
Ce qui est arrivé à M. Davison. Trad. Anglais Christine Laferrière février 2013. 295 p. 17 €
Ecrivain(s): Jon McGregor Edition: Christian Bourgois
Jon McGregor est définitivement de la lignée des écrivains qui se coltinent avec la langue même, la matière de l’expression. Les nouvelles qu’il nous offre dans ce recueil constituent une sorte de laboratoire d’écriture nouvelliste. Aucun des textes ne ressemble à un autre par la forme : phrases brisées, répétitions, inventaires, documents administratifs ou techniques, et même listes de noms propres, tout y passe comme dans une sorte d’exploration des canons de l’écriture. Dans la deuxième nouvelle, on a même un brouillon de poème, celui qu’est en train d’écrire l’héroïne de l’histoire : page de gauche la nouvelle et son déroulé, page de droite le poème de la femme en « work in progress »
« Quand vient l’aurore
Quand la première lueur pénètre depuis l’est
Le ciel est de la couleur des billes.
D’un gris médiocre et vitreux » (En hiver le ciel)
Les nouvelles de Jon McGregor commencent comme elles finissent, de la manière la plus inattendue et abrupte qui soit. N’attendez jamais un « récit », avec un début et une fin. En cela McGregor a retenu la leçon de Raymond Carver et participe de ce courant nouvelliste qui se nourrit de tranches de vie.
Début de la nouvelle intitulée « Ce qui lui avait rappelé, par la suite » :
« Et puis il y avait l’Américaine, à qui il avait proposé la chambre d’amis cette fois-là, sans se poser de questions, ni réfléchir, ni apparemment tenir compte du fait que Catherine aurait pu au moins avoir envie d’être prévenue. »
Jon McGregor nous avait habitué à ces procédés avec son premier roman magistral « Même les chiens » (cliquer sur le titre pour lire la recension). Mais en 30 nouvelles stupéfiantes d’inventivité et de décalage, il nous confirme de façon éclatante qu’il est un des grands stylistes des lettres britanniques d’aujourd’hui. Jusqu’à l’exercice de style, celui qui consiste à entrer dans un phrasé et un langage propres à un registre de langue
Début de « New York » :
« OK. Donc y a ces mecs, ces deux mecs, et ils sont au bord de la route, ils attendent quelque chose. Qu’est-ce qu’ils attendent ? On sait pas ce qu’ils attendent. Pas encore.Ca fait partie du suspense, OK ? OK. Donc ils sont là, ils ont l’air assez crevé, assez déprimé, vous saisissez ? Ouais. L’air ordinaire j’imagine. »
Relisez le passage précédent : n’est-ce pas, dans le propos, l’art même de la nouvelle, sa progression narrative, qui en est l’objet ? McGregor se raconte racontant, jouant des voix de l’écriture comme il faisait parler les fantômes dans « même les chiens ». C’est l’écrivain de la polyphonie. Ainsi dans la nouvelle qui porte le titre du recueil « ce qui est arrivé à M. Davison », la première phrase est surprenante :
« Tout d’abord, je veux commencer par dire que nous sommes tous absolument navrés de ce qui est arrivé à M. Davidson »
Davidson. Faute de frappe du rédacteur de cette recension ? Coquille d’imprimerie dans le livre ? Non. C’est bien Davidson, pas Davison et c’est la clé narrative de la nouvelle qui en dépend.
« Les vestiges » pour finir :
« N’ont pas été encore retrouvés. N’ont pas été encore retrouvés. N’ont pas été encore retrouvés. N’ont pas été encore retrouvés. N’ont pas été encore retrouvés. N’ont pas été encore retrouvés. (…) »
Il est de justice que de souligner ici le travail remarquable de Christine Laferrière, la traductrice de ce recueil. Ce n’était sûrement pas de tout repos, et néanmoins c’est une impeccable réussite.
Jon McGregor est au cœur du jeu d’écrire. Ou de sa folie. Comme Torrance, l’écrivain psychotique de « Shining ». On le suit volontiers dans ses explorations.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
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VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
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