Ce que je crois, Jacqueline de Romilly
Ce que je crois, 160 pages, 16 €
Ecrivain(s): Jacqueline de Romilly Edition: Editions de Fallois
Certains livres sautent aux yeux dès les premières lignes. Tout se condense dans les premiers mots et tout reste à dire en raison même de ces mots. Jacqueline de Romilly dans Ce que je crois, publié quelque quatre décennies après son écriture, donne au lecteur du 21ème siècle des sujets de réflexion que le temps n’a pas rendus désuets. Ce sont en effet les événements de mai 68 qui ont déclenché chez l’helléniste ce besoin de dire ce que son « amitié vieille de plusieurs décennies avec la Grèce Antique » a suscité comme questions à l’actualité d’alors, en 1974. Et les éditions de Fallois publient ce texte en 2012.
Des convictions d’abord, comme une antienne : « Je crois d’abord que la vie est belle et mérite d’être aimée. Cela ne veut pas dire que tout y soit rose. Mais ce qui me choque est que l’on n’en poursuive pas les beautés, obstinément ». Jacqueline de Romilly commence sa réflexion par ces belles phrases, en ajoutant qu’elle n’est pas de ces naïfs qui s’obstinent à ignorer la réalité. Elle a eu son lot de difficultés, et c’est précisément ce qui l’a conduite à éprouver autant de joie à vivre.
L’helléniste a su être une contemplative autant qu’une forcenée du travail, elle a su s’émouvoir des petits riens comme des grands textes sur lesquels elle a tant travaillé : « les Grecs, je crois, m’ont aidée à préserver ces joies. Car ils ont eu, précisément, le courage d’aimer la vie et le bonheur, sans pour autant embellir les choses, sans jamais perdre de vue les cruautés de l’existence, tout au contraire ». Comme si les textes des Grecs Anciens avaient cette puissance qui donne l’énergie nécessaire pour aimer vivre, malgré tout. Et la tragédie qu’ils inventent fait partie de ce qui, pour Jacqueline de Romilly, relève de l’énergie transmise de siècle en siècle. « Tout ce théâtre semé de désordres, toute cette histoire semée de crimes, restent pour moi des textes toniques, qui me rendent confiance parce qu’ils laissent une place au courage, et qui m’aident à mieux ressentir les joies de la vie parce qu’elles n’en sont jamais absentes ». Et un peu plus loin, elle ajoute, en parlant des héros de la tragédie grecque : « Ils m’aident à retrouver, au fil des jours, l’émerveillement que le monde moderne tendrait à étouffer en nous ».
Jacqueline de Romilly sait aussi nous convaincre que la contemplation n’est pas inaction, bien au contraire. S’agissant de la montagne Sainte-Victoire, près de laquelle elle avait une demeure, ou « de la lumière de la première lampe allumée sur ma table de travail », les sujets d’émerveillement ne manquent pas et prouvent si besoin était son attachement à la vie. Et c’est sans doute ce qui permet de mieux saisir son questionnement constant sur tout ce qui l’entoure. « On ne comprend rien si l’on ne cherche pas à comprendre tout ». Son métier d’enseignant n’est sûrement pas étranger à cette conviction, non plus d’ailleurs que son amour de la littérature dont elle affirme « qu’elle fait éclater les limites imposées à l’homme ».
Ces déclarations d’amour de la littérature et de l’art en général s’appuient cependant sur une nécessité dont elle ne se départira jamais : la rigueur intellectuelle : « l’écriture, je crois de tout mon cœur qu’elle est le seul garant de la précision intellectuelle ». Elle utilisera cette rigueur dans cet essai pour tenter de comprendre l’effondrement de certaines valeurs qui, au début des années 70, posaient question à l’helléniste. Et pour tenter de répondre, elle fait appel à ces « modernes » que sont Thucydide, Isocrate ou Platon, et avec élégance.
Guy Donikian
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