Cartes postales, Henry Jean-Marie Levet (par Philippe Leuckx)
Cartes postales, février 2019, 112 pages, 6,10 €
Ecrivain(s): Henry Jean-Marie Levet Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Auteur du dernier quart du XIXe, Levet, né en 1874, mort en 1906, fut un diplomate à l’étranger. Il découvrit nombre de terres orientales (Inde, Philippines…), africaines, et écrivit à leur sujet ces « Cartes postales ».
À Paris, il fréquente Fargue, Francis Jourdain, et est l’un des noctambules de la période symboliste, autour des cafés du quartier Latin et de Montmartre.
D’une œuvre, détruite par ses proches, entre autres des manuscrits et un roman, il nous reste à lire ces « poésies et chansons », parus du vivant de l’auteur dans Le Courrier français (1895, 1896), dans la Collection bibliophile de l’Aube (1897), dans La Vogue (mars 1900), dans La Grande France (avril et septembre 1902).
Un parcours fulgurant, juste contemporain d’un Jarry (1873-1907), avec, comme le souligne le préfacier Michel Bulteau, une belle évolution entre les poèmes de ses vingt ans, dignes d’un chansonnier acide, et ceux nés des « Cartes postales » postées de Biskra, La Plata, Nice, Nagasaki…
En poèmes rimés mais enlevés par leur sens du voyage et les « épices verbales », le poète Levet sait mordre dans l’épaisseur des ailleurs pour en déguster (et nous donner matière à le faire) l’étrangeté, la vigueur des ports, la « mélopée lente d’un Thériaki » (p.75).
L’Armand-Béhic (des Messageries Maritimes)
File quatorze nœuds sur l’océan Indien…
Le soleil se couche en des confitures de crimes,
Dans cette mer plate comme avec la main. (…) (p.59)
La description visuelle, exotique, est pétrie de détails qui sonnent vrai (« Dans la vérandah* de sa case, à Brazzaville,/ Par un torride clair de lune congolais/ Un sous-administrateur des colonies/ feuillette les Poésies d’Alfred de Musset… »), et la langue, sensible, met en exergue des perles, « La fleur de ma mélancolie anglo-saxonne » (p.63), qui donnent du voyage, des lointains, un sens inouï de l’atmosphère. Levet, « hanté » par les périples, nous laisse ainsi lire les traces vivantes de son imaginaire et les reliefs de cette passion pour les ailleurs, en quoi il correspond bien à cette époque des grands voyageurs, de la ferveur pour l’Orient (Judith Gautier de l’Académie Goncourt), inscrite dans la littérature (Loti) et les arts (Matisse…).
Dans sa jeunesse, en ses sonnets, Levet pouvait aussi bien égratigner les fausses gloires (« plat, ainsi qu’un roman d’Ohnet »), évoquer les oiseaux de l’été :
Prévenant que, demain, le cœur le mieux ourdi :
Tout oiseau passager en picore une miette,
Sur le balcon doré qui sommeille à midi… (p.50)
Une belle redécouverte.
Philippe Leuckx
* Orthographié ainsi par Levet.
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