Carson McCullers, Un cœur de jeune fille, Josyane Savigneau
Carson McCullers, Un cœur de jeune fille, 500 p. 8,10 €
Ecrivain(s): Josyane Savigneau Edition: Le Livre de Poche
Carson McCullers fait assurément partie des écrivains dont on ne peut parler sans passion. Cette grande gigue sudiste, aux allures de garçon, aux romans abyssaux, aux personnages improbables, ne peut pas laisser indifférents les heureux lecteurs de son œuvre. La passion est la première qualité qui anime Josyane Savigneau dans cette biographie. Passion pour une grande auteure mais – et c’est indissociable chez Carson – pour une femme peu commune.
Le portrait qui se dessine au long de cette biographie est celui d’une écrivaine qui marqua son temps, à la fois par son œuvre audacieuse et transgressive et par le personnage – non moins audacieux et transgressif – qu’elle imposa dans les cercles littéraires américains, dans sa famille, dans sa vie. Dès 23 ans, la jeune sudiste entame tambour battant une carrière littéraire reconnue par tous dès le début. Le Cœur est un Chasseur solitaire (The Heart is a Lonely Hunter. 1940), roman choral aux personnages improbables, paumés de la vie, connaît un succès immédiat. Et, malgré quelques hauts et bas, ce succès ne se démentira jamais vraiment, ni auprès du public, ni auprès de ses confrères et consœurs en littérature.
Le succès d’un Cœur, arrivant à un si jeune âge, ne fut pas sans poser problème à Carson McCullers. Ce livre inaugural fera de l’ombre longtemps au reste de son œuvre qui, pourtant, comporte une série impressionnante de chefs-d’œuvre.
Reflections in a Golden Eye (1941. Reflets dans un œil d’or), The Member of the Wedding (1946. Frankie Adams), Clock without Hands (1961. L’Horloge sans aiguilles), The Ballad of the Sad Café (1951. La ballade du café triste), The Mortgaged Heart (Le cœur hypothéqué. Posthume), sont autant d’œuvres majeures, qui sont aujourd’hui reconnues comme telles.
Josyane Savigneau consacre une large partie de sa biographie aux tumultueuses amours de Carson et de celui qui sera (deux fois !) son mari, celui qui lui donnera son nom : Reeves McCullers. Passions, rejets, périodes d’amour fou – il faut lire les pages consacrées à la période où Reeves est en France en pleine guerre, soldat américain débarqué le 6 juin 1944 à Omaha Beach ! – surtout… quand ils ne sont pas ensemble. Un couple singulier dans l’Amérique des années 20, antiraciste, antifasciste, « de gauche » dirait-on aujourd’hui.
Ce positionnement d’ailleurs se retrouve largement dans l’œuvre de Carson, en particulier sur la question des Noirs. Contrairement à ses aînés sudistes, Faulkner en particulier, qui racontent le Sud sans jamais se livrer, Carson McCullers prend nettement position en faveur des Noirs, en faveur de leur promotion sociale et du respect qui leur est dû. Elle ne le fait pas seulement dans la vie mais aussi dans son œuvre. Ainsi, dans Le Cœur est un chasseur solitaire, Benedict Copland est un médecin noir qui souffre du mépris des Blancs, mais qui œuvre néanmoins au mieux-être de tous. Il sera d’ailleurs fortement reproché à Carson McCullers, par une opinion largement raciste, « d’aimer les Nègres ».
Carson McCullers que Truman Capote – qui l’aima beaucoup, puis ne l’aima plus – qualifiait de « monstre », tant la « petite » sudiste voulait sans cesse attirer toute l’attention sur elle, pérorant sans cesse sur son œuvre, son talent, devait assurément être bien difficile à vivre. Et pourtant, nous fait comprendre Josyane Savigneau, c’était un cœur d’or, timide et angoissé.
Parlons enfin du talent de la biographe. Non seulement Josyane Savigneau nous offre un travail complet, minutieux, remarquablement documenté, mais en plus, elle le fait avec une humilité rare. On en a un bel exemple quand, Carson McCullers ayant eu une brève expérience de journalisme, on peut lire ceci sous la plume de l’auteure :
[…] elle ne parvenait à se plier à aucune des contraintes minimales du métier et persistait, par exemple, à écrire « le meurtrier » a été conduit à la prison de la ville, bien qu’on lui répétât chaque fois que la règle était d’écrire « le meurtrier présumé ». Elle estime qu’une telle profession ne peut convenir qu’à des êtres dépourvus d’imagination – personne n’a encore démontré qu’elle avait tort – et, en quittant le journal, elle dit bruyamment ce qu’elle pense : « Il faudrait que j’aie faim à en mourir avant de faire ce métier-là ! »
Quand on sait que Josyane Savigneau est une des plus brillantes journalistes françaises, on mesure l’humour du passage.
Cette biographie fut la première publiée en français. Elle reste, 22 ans après sa parution, une référence absolue et un accompagnement nécessaire à la lecture des œuvres de la grande Carson McCullers.
Léon-Marc Levy
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