Carnets d’un fou, LI - Avril 2017, par Michel Host
« Son biographe nous raconte que lorsqu’il demanda à Jack Kerouac quel effet ça lui faisait d’être célèbre, celui-ci répondit : C’est comme de vieux journaux que le vent pousse dans Bleecker Street… »
Denis Grozdanovitch, Petit traité de désinvolture
#. Deux pages consacrées à Mme Christine Angot dans l’un des tout derniers Monde. Elle a progressé en expression orale, parvenant aujourd’hui à terminer sa phrase, si elle n’est pas trop longue. Elle est la médiocrité littéraire par définition, elle est donc partout encensée, exposée, mise en valeur. Tout est donc selon les règles de cette société.
#. À demi somnolent, j’apprends cette nuit, par la radio, que les implantations d’entreprises étrangères en France connaîtraient un regain significatif. Les investisseurs chinois décerneraient à nos ouvriers, techniciens et ingénieurs la palme de l’ingéniosité, de l’inventivité. Réjouissons-nous.
#. J’avoue, j’ai consulté Le M des Livres du 14 mars. Le « nom » y occupe une grande place.
– Nom de l’écrivain japonais Haruki Murakami. Ses romans l’ont rendu célèbre. « Quand je suis fatigué, j’écris des nouvelles », déclare-t-il. C’est dire que la nouvelle est estimée peu de chose, qu’elle s’écrit au petit bonheur la chance, dans le sauve-qui-peut… Il me semble à moi que c’est l’écrit le plus délicat, le plus difficile à mener à bien et à conclure. Murakami vient de produire un recueil, Des hommes sans femmes, qui, tel qu’on le présente, succinctement, ne me paraît pas bien extraordinaire. Il est célébré néanmoins sur une page pleine. D’excellents nouvellistes français (Annie Saumont, célébrée, elle. Brigitte Aubonnet, François Marchand, Jean Claude Bologne, Dominique Cornet, Imbert…) restent inconnus du grand public. Ils n’ont pas de nom, ils publient chez des éditeurs modestes. Les critiques ne les lisent donc pas : cerner un recueil de nouvelles est au moins aussi difficile que de cerner un roman. Ce doit être la raison.
– Le « nom » masqué par le pseudonyme. Article de Virginia Bart. Il y a bien des raisons à vouloir dissimuler un patronyme : toutes celles évoquées dans cet article concernent une finalité de carrière littéraire. La carrière… à mon sens, l’imposture absolue ! La négation de la nécessité de l’acte d’écrire… Il est bien d’autres motifs pour se garantir d’un pseudonyme. Parmi ceux-ci, plus souvent qu’on ne l’imagine, l’obligation de rester libre et en vie.
– À travers Vie de ma voisine, de Geneviève Brisac (vie de Jenny Plocky), publié chez Grasset : les risques et périls du « nom » à consonance juive. Cela parut dans le grimoire démoniaque de M. Hitler, dans les années de guerre, puis en Pologne, en Ukraine… Au centre de la France, ce fut la rafle du Vel’ d’Hiv, le 16 juillet 1942, puis durant quatre ans sous le couvercle pétainiste collaborationniste, les dénonciations, Drancy, les trains de la mort. Cela se calma. Cela revient aujourd’hui : on assassine des juifs à Toulouse, dont des enfants (affaire Mohamed Merah), parfois dans nos banlieues, où l’on sait de quoi il retourne.
– Nom à retenir : Armand Farrachi, La Tectonique des nuages, chez José Corti. L’excellent Éric Chevillard (dans Le M) ouvre ainsi son commentaire du livre, on ne peut résister à le citer : « … le misanthrope ne manque jamais de bonnes raisons d’exulter. Le monde est pour lui comme l’arbre à papillons pour le lépidoptère. Les hommes font en tout lieu étalage de leur incurie et de leur cruauté, de leur bêtise et de leur vulgarité. Saccages, ravages, carnages. Quand ils n’empoisonnent pas le sol, ils s’abêtissent devant des spectacles idiots. Quand ils n’adorent pas de féroces et chimériques idoles, ils se vouent aux puissances de la publicité et de l’argent. Quand ils ne font pas leur malheur, ils font celui des bêtes ». C’est à propos du fond du livre d’A. Farrachi, et ce n’est pas moi qui l’ai écrit !
#. Conversation : « A – Reprendrez-vous de ce ragoût de mouton ? B – Non, merci, j’ai cessé de manger du cadavre depuis quelque temps ».
Le 1er/IV
#. « Aujourd’hui, rien », allais-je écrire, pour ce lundi 3 avril, tel Louis XVI dans son journal, le jour de la prise de La Bastille.
Erreur : non pas rien, mais un pas décisif sera franchi dans l’art dès que douze poussins seront éclos. En effet, l’Artiste Abraham Poincheval – sorti de quel néant ? – au Palais de Tokyo, enfermé dans une boîte de plexiglas y aura couvé, vingt-et-un jours durant, douze œufs de gallinacée. C’est merveille ! L’on se demande l’intérêt de la chose, les poules faisant cela mieux que personne depuis que la première poule pondit le premier œuf. On s’émeut néanmoins de ce que les pauvres poussins n’auront pas de mère ! Qu’on se rassure, la vie dans une ferme normande leur est promise. Et, comprenons-le, cette forme d’art-couvaison, c’est tout de même beaucoup mieux qu’un misérable tableautin de Vermeer ou qu’un simple bouquet peint par Matisse, car cela a déjà été fait diront les amateurs. Il a fallu pourtant résoudre l’épineuse question de la « défécation » et des odeurs !!!!!! Un sommet de l’art est donc atteint. On ne sait encore de quelles couleurs seront les poules nées de M. Poincheval, ni les selles de M. Poincheval, ni dans quel tas de fumier l’art s’enfoncera. C’est tout de même beaucoup au-dessus de la toile à matelas de M. Daniel Buren. Je ne cache pas mon enthousiasme.
Autre petite affaire. Mme Ericka Bareigts, ministre des Outre-Mer, vient de quitter la Guyane sur la promesse d’un versement d’un million d’euros destinés à toutes les réfections et constructions indispensables pour rendre à ce territoire grand comme trois de nos départements les marques minimales d’une région civilisée : sécurité, écoles et hôpitaux notamment. Les autochtones se sont comportés décemment, ils n’ont rien cassé, rien mis à sac ni guillotiné personne. Seulement empêché qu’on aille jusqu’à Kourou. Ils ont dialogué avec les deux ministres. L’aumône est de taille, mais reste une aumône. Qui plus est, à trois semaines d’un changement de majorité, elle ne pourra être votée, il faudra des décrets et que sais-je encore. Elle ne sera pas versée et rejoindra le trou noir des promesses illusoires. Les Guyanais le savent. D’ailleurs ils en veulent davantage, trois fois plus. Je ne sais pourquoi Mme Bareigts a pu rentrer par avion dans son paisible ministère, pourquoi on ne l’a pas sacrifiée au dieu des forêts sur l’autel des humiliations gouvernementales et administratives.
Le 3/IV
#. Dernières nouvelles. L’aumône a plus que doublé. Nos Guyanais, sans guillotiner personne, ont gain de cause, ou croient l’avoir, car rien n’est encore versé. Cela rien qu’en empêchant les fusées de monter dans le ciel et en évitant de venir se traîner aux pieds du petit sultan Hollande. Mesdames, messieurs, bravo !
#. Aujourd’hui, toujours rien ! Aucune prise de La Bastille n’est annoncée, seulement une empoignade des onze candidats à la présidence sur un plateau de télévision. Le sang va couler, dit-on. Une publicité énorme est faite à l’insignifiant événement. Ailleurs, des musulmans amoureux de leurs dissemblables se font exploser dans le métro de Saint-Pétersbourg et, en Syrie, des civils meurent asphyxiés lors d’attaques par obus chargés de gaz « sarin ». Ce soir, je lirai un bon livre, sans doute quelque conte de Voltaire…
Le 4/IV
#. Micromégas, un peu de philosophie-fiction, veut rencontrer le Secrétaire de l’Académie de Saturne, c’est mieux que bien, c’est passionnant, amusant et pensant. Radio-Nuit, que je mets en marche lorsque je me couche, m’apprend que la confrontation des onze prétendants au trône fut une réussite : exposés brefs de l’essentiel des convictions de chacun(e). M. Mélenchon, de la gauche insoumise, fut le maître de la scène : clarté, fermeté et rigueur de ses exposés. M. Poutou, de la gauche anticapitaliste fondamentale, fut le maître des mots-brûlots. Ainsi, parlant des immunités de toutes sortes : « Vous, élus et ministres, avez l’immunité parlementaire ; nous, ouvriers, n’avons aucune immunité ouvrière !» Et ceci, en quoi il se montra d’une incorrection incompréhensible aux autres candidats : « Je propose que sénateurs et députés reçoivent le SMIC pour salaire. Ainsi, peut-être, seront-ils portés à augmenter la rétribution des travailleurs pour augmenter la leur ». Bravo. Dans le mille ! Mais nous n’ignorons pas qu’il s’agit d’escarmouches de bons mots, de parlotes à la française.
Le 5/IV
#. On ne peut quitter Paris sans qu’il ne se passe quelque chose dans le vaste monde, et sans que la campagne ne vous réserve des surprises dont elle seule est capable.
Le monde : M. Donald Trump bombarde un aérodrome militaire au nord de Damas. Cinquante-neuf missiles Tomahawk. Se disant très ému par la mort d’enfants syriens bombardés avec des gaz asphyxiants de l’aviation d’Assad le Criminel (le gaz sarin, probablement et un jour ces enfants sont au nombre de trente, le jour suivant de 37 ou de 10…). Le nouveau général en chef des États-Unis en fait le prétexte pour son action militaire. Je ne crois pas une seconde aux mouvements compassionnels de M. Trump. On cherche les vraies raisons. Elles sont géostratégiques et économiques, comme d’habitude. Les États-Unis ne peuvent laisser la Russie et l’Iran gérer seuls cette région du monde. Tous les grand États ont leur arrière-cour. Wait and see. Ya veremos.
La Bourgogne : une fuite de fuel nous y attend. Chaufferie en panne. Il faut trouver un plombier, un vendredi soir, à 17h. Nous le trouvons grâce à une voisine, il vient colmater la fuite. Le lundi tout sera réparé. Travail éreintant que de vider la chaufferie de tout ce qui l’encombre depuis des siècles. Nous scions du bois. La Bourgogne, telle l’Espagne, est « terre de contrastes » : on y gèle la nuit, on y grille le jour.
Le 11/IV
#. Non, décidément le costume de président de la République fut taillé bien trop grand pour lui. Le petit fonctionnaire d’administration qu’il est et restera, non seulement ne tint aucune de ses promesses (pas même celle de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim), mais il ne relança ni l’industrie française, ni l’agriculture. Il n’était pas de taille à faire pression sur les maîtres de la finance afin qu’ils rendent au moins sous forme d’emplois les cadeaux qu’il ne cessa de leur faire avec l’argent des contribuables. Il nous laisse enfin la Guyane dans le délabrement et la révolte. Sur l’Europe génératrice de notre pauvreté, il n’eut aucun pouvoir. Les nains ne sont actifs et efficaces que chez Walt Disney. Sa silhouette de petit bedau bedonnant, il achève de la dessiner en tentant d’acquérir – dit-on – une maisonnette en Corrèze, département qu’il n’a jamais parcouru que d’un pas léger. On voit bien Son Incompétence s’y retirer, chapeau de paille sur la tête, pour y rater ses repiquages de salades et écrire ses pauvres mémoires dans ce français approximatif qui, sous son quinquennat, aura été enseigné aux écoliers.
#. Non encore une fois, lorsque M. Le Pen, en son temps, disait qu’il pleuvait et que c’était la réalité, on ne pouvait l’accuser d’iniquité nationale. Beaucoup l’avaient remarqué. Lorsque sa fille, aujourd’hui, affirme que la rafle du Vel d’Hiv, du 16 juillet 1942, sous l’Occupation nazie, se fit sous les ordres du gouvernement pétainiste collaborationniste avec le soutien des dénonciateurs et des fonctionnaires antisémites ou seulement obéissants, et non pas sous la pression de tous les Français et de la France tout entière, force est de lui donner raison. Reconnaissons la différence fondamentale qu’il y a entre : responsabilité « de » Français et responsabilité « des » Français ! Rappelons aussi qu’en 2011, Mme Le Pen qualifia les chambres à gaz de « summum de la barbarie ». Ce rappel ne signifie pas une adhésion à ses thèses. Et encore que de tous les pays européens, la France fut celui qui livra le moins de victimes juives au Moloch hitlérien. M. Hollande, en 2012, progressait dans la repentance : « … la vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France ». À l’époque des faits, j’étais un enfant, mais je ne m’imagine pas une seconde encourageant ce crime de masse monstrueux si j’eusse eu quelques années de plus. D’autre part, j’ai appris que des Français résistants ou simples citoyens, nombreux, anonymes, chrétiens ou non chrétiens, avaient grandement contribué à aider, à sauver des juifs de France, et pas seulement agi pour les malheureux « enfants d’Izieu ». Enfin, la repentance ne peut se faire au prix d’un autre mensonge et d’une haine de soi dont on se demande par quel enragement de l’esprit elle perdure, s’est enracinée, et empêche la vérité de triompher de l’idéologie qui divise, énerve, amoindrit les lucidités, provoque en retour la détestation des ignorants et des sots. Avec De Gaulle, François Mitterrand, Nicolas Dupont-Aignan, et aussi Jean-Pierre Chevènement, je refuse l’acte de repentance officielle de M. Chirac, datant de 1995, et celle du pâle suiviste Hollande, qui n’aura cessé de vaciller sur toutes les questions. « L’irréparable » n’a été accompli que par un État félon et ses serviteurs, non par une nation qui y aurait consenti dans sa totalité. On sait que la vérole se transmet fort bien, MM. Macron et Hamon y travaillent avec constance. Quant à moi je refuse d’être sali à vie en tant que Français, d’être un vérolé de l’Histoire.
Le 12/IV
#. Les champs et les bois ont au moins cette vertu qu’on y vit à l’écart des bombes de M. Trump et de ses menaces à l’univers entier, des rodomontades du dernier dynaste de la Corée du Nord, des rengaines, harangues et mensonges du variable et insaisissable Macron, des hâbleries répétitives de Fillon-Harpagon, des solutions miraculeuses de l’extravagant Hamon, de la bouée de sauvetage en caoutchouc fissuré de Marine Le Pen, des extravagances d’une gauche avancée (tel un fromage), d’un Mélenchon bavard et presque aussi creux qu’un Hamon ou un Macron, des clowneries d’un Poutou docteur ès bons mots… Seules gardent un peu de consistance les paroles prophétiques d’un berger courageux nommé Jean Lassalle, mais c’est un homme venu pour une part du monde antique – ce pourquoi il est incompris et même tourné en dérision par les imbéciles et les journalistes –, pour une autre part des ruses de la chambre des députés. Il y a enfin les tentatives loyales mais que l’on sait vaines d’un Dupont-Aignan pour rétablir ce pays sur des bases plus claires. Un instant de respiration avant le retour aux pollutions parisiennes et à son totalitarisme municipal inlassable.
Le 15/IV
#. Le divin Hollande, que ses ailes déplumées empêchent de voler, hume les derniers fumets de sa gloire disparue prématurément, guette les vapeurs montant des cendres de ses échecs. Pour se donner une contenance, il vient, sans lésiner, de remettre 562 légions d’honneurs à une troupe de profiteurs de la République, de bobos minables et d’enrichis magnifiques. Ne s’est-il pas senti les bras fatigués au point qu’ils lui en tombent ? Et la chose a dû coûter un jolie fortune au prix où est le mètre de ruban, la ferraille dorée et le champagne de qualité.
#. La campagne pour le premier tour de la présidentielle tire à sa fin. Les onze chevaux, à quatre jours d’ici, aperçoivent la ligne d’arrivée. Ils halètent, ils ahanent à s’être tant répétés sans se faire vraiment comprendre, et sans que quiconque puisse croire à leurs boniments. On allait nous les crever, ces braves canassons. Il est temps que le cirque s’arrête. Même les journalistes moqueurs, menteurs, démagogues plus ou moins masqués, partisans qui ont toujours, mais en vain, voulu se faire passer pour des vierges pures et d’impartiaux observateurs, n’en peuvent plus eux non plus. En somme, les abattoirs ! En mai, munis d’un président grand teint et propre (?) comme un sou neuf, nous serons tous végétariens.
Le 19/IV
#. Ce 20/IV, retour de la campagne à Paris, autoroute dégagée, ensoleillée, presque à nouveau le plaisir de conduire une voiture. Le soir, écrasé devant une émission pré-électorale de tout repos – c’est ainsi lorsque la fatigue de la route s’en mêle – la France entière est électrocutée par une étonnante nouvelle, et l’émission en est perturbée : un gentil garçon aussitôt soutenu par l’État islamique (on l’apprendra le lendemain), la trentaine apparente, s’est lancé, sur les Champs-Élysées, dans le mitraillage d’une voiture où d’abominables policiers paisiblement assis s’attendaient à tout sauf à cet acte caractérisé de guerre sainte. L’un meurt sur le coup, deux autres sont blessés, dont un très grièvement. Une passante est blessée elle aussi. Des policiers fêtés un jour, haïs le lendemain, devaient-il espérer un autre sort face à un musulman fanatisé et crétinisé aux fables sans alcool de l’idéologie Daech ? Certainement pas. L’assassin est enfin tué par d’autres policiers. Ces cruels imbéciles ont encore fait usage de la légitime défense, diront les progressistes, jamais économes du sang d’autrui. Seront-ils mis en examen pour « réponse inappropriée » par le socialisme agonisant mais fidèle à ses valeurs ? Quelle sottise que de vouloir maintenir en prison à vie ces bienfaiteurs de l’humanité, ces purs croyants qui ne font qu’adresser des rafales d’amour à leurs prochains.
À la fin de l’émission, la plupart des onze candidats interrogés se fendent d’un couplet apitoyé sur le policier décédé et sa famille, dont ils n’ont rien à faire par ailleurs. Le président de la République leur rend un hommage d’autant plus appuyé qu’il n’a rien à penser de ces choses subalternes, sauf qu’elles obscurcissent un peu plus, s’il en était besoin, sa stérile fin de règne. Mme Nathalie Arthaud a un mot bref pour « les victimes »… Dire « les policiers victimes » cela lui arracherait la g… disons-le comme nous le pensons. M. Poutou, enfin, persiste à demander le désarmement de la police, sans doute afin que les membres du service d’ordre soient tirés comme des lapins dans les rues de nos villes. Je demande qu’on habille M. Poutou en policier, avec pour arme un pistolet à eau, et qu’on le soumette au feu d’une kalachnikov… Il vérifiera alors l’efficacité de ses propositions.
Des journalistes, toujours prompts à dégainer leur sottise, nous annoncent que « nous en avons pour trente ans » de lutte contre ce radicalisme de la mort, oubliant qu’il s’agit d’une pensée fondée sur une religion, donc d’un mouvement de fond irrationnel surpuissant ; ils oublient que 70 ans de communisme pur et impur furent déracinés par 2000 ans de chrétienté toujours vivante et active. Que la religion hébraïque et sa bêtise singulière ont au moins 6000 ans d’existence. Je regrette de ne savoir à peu près rien de l’hindouisme.
Le 22/IV
#. Résultats du premier tour des élections. Au second tour s’affronteront M. Macron et Mme Le Pen, tous deux arrivés en tête avec plus de 22% des voix pour chacun. Bien qu’il soit très probable que M. Macron sera le prochain président, il devra se composer une majorité avec les fanatiques de la mondialisation et de la libre circulation de la marchandise (seule chose vraiment sérieuse en la circonstance), les ralliés-traîtres de tous bords, centristes, ex-socialistes, ex-protégés et affidés du hollandisme, accompagnés des mangeurs de soupe au caviar de tout acabit. Ce ne sera pas facile. Je pressens une France ingouvernable. Quant à Mme Le Pen, si elle veut concurrencer efficacement son adversaire, il lui faudra en rabattre sur la question de notre séparation d’avec l’Europe et l’euro et de la fermeture de nos frontières. Là encore, pas facile ! Elle aura aussi à affronter l’unanimité haineuse (plus que perceptible dès la « soirée électorale ») contre elle-même (fille de qui l’on sait), contre son parti déclaré xénophobe, raciste et fasciste (parti qui n’a pourtant jamais été frappé d’illégalité par la loi, car si pratique, du moins jusqu’ici). On oublie vite que le FN est, avec celui de M. Mélenchon, devenu le parti des oubliés, des ouvriers, des prolétaires, des petits-bourgeois et fonctionnaires.
Le fait est que M. Macron, sautant allègrement le tour suivant, s’est comporté en président élu, défilant avec une impressionnante cohorte de voitures accompagnatrices, jusqu’au restaurant La Rotonde à Montparnasse où il dîna en compagnie de ses admirateurs, à l’instar d’un M. Sarkozy se rendant naguère en triomphe au Fouquet’s. Le peuple en est tout ému de gratitude anticipée. La faim ne se maîtrise pas si aisément, cela le peuple le comprend très bien ! Et ces messieurs ont les crocs ! Qu’on me passe cet accès de vulgarité.
De M. Nicolas Bay, proche soutien de Mme Le Pen, ces mots que je reprends de mémoire : « On nous accuse de préparer un désastre sans précédent. Mais le pays est déjà en proie à un désastre complet. Nous n’avons jamais gouverné. Les mêmes qui ont créé ce désastre prétendent aujourd’hui régner tout en nous accusant de préparer une ruine déjà constatable dont ils sont les seuls responsables ». Pour appartenir au parti honni, a-t-il entièrement tort ?
Premiers signes favorables. Les « marchés financiers », les bourses et les banques, les États-Unis, l’Angleterre et l’Allemagne ont réagi au résultat de ce premier tour par de joyeuses gambades dans les prés de la finance, de la manigance et de la grande escroquerie. Ils saluent le veau d’or comme chaque matin le drapeau marqué du dollar et de la livre. Le peuple sait à quoi s’attendre. Ils finiront par faire de moi un révolutionnaire.
Le 24/IV
Dernier tour de piste. Plus que jamais, le mot d’Octave Mirbeau au sujet des élections est d’actualité : les moutons s’apprêtent à choisir leur boucher. M. Macron et Mme Le Pen s’affrontent déjà sans ménagements. Encore deux petites semaines à endurer. Par bonheur, les électeurs français sont à chaque minute guidés dans leur choix par les médias, et notamment par la télévision qu’ils regardent en moyenne trois heures par jour. Cet intense lavage de cerveau leur indique, comme à des touristes descendant de leur autocar, la voie à suivre, celle de M. Macron, transfuge du parti de M. Hollande, son ex-ministre de l’économie, traître lui-même et encadré par des traîtres de tous horizons politiques. Il faut savoir que ce petit-fils de Ploutos, de la banque Rothschild, escroc comme tout le monde ici-bas, laisse derrière lui trois millions d’euros égarés on ne sait où, dont on ne trouve aucune trace dans l’évaluation de sa fortune personnelle et à quoi ni le fisc ni la justice ne veulent s’intéresser. Le tour de passe-passe politique se double d’un autre tour fiscal. L’imposture a déjà pris forme, nul ne sera pris au dépourvu. Son père spirituel proclamait : « Mon ennemie, c’est la finance », lui déclare : « mon amie, c’est la finance ». La France sera donc mangée à la sauce financière. Excellente recette de la cuisine bourgeoise. Bon appétit, messieurs !
Pour Mme Le Pen, ses chances d’accéder à la présidence sont presque nulles. Son processus de dédiabolisation est mis en échec sous le tir de barrage médiatique qui, à chaque minute, la déclare flambeau de la xénophobie, de l’antisémitisme, de tous les racismes, de l’anti-multiculturalisme, du colonialisme, du repli sur soi, promotrice de notre ruine économique, laquelle pourtant ne peut être creusée davantage ! Par ailleurs, en dépit du fascisme dont on lui fait porter la honteuse médaille, je n’ai – qu’on me permette de le dire – pas entendu encore Mme le Pen nier l’existence des chambres à gaz de la dernière guerre mondiale, prôner la création de camps de concentration pour les Tziganes et les homosexuels, ni de camps de la mort pour nos compatriotes juifs, ni même que l’on déportât en masse les musulmans de France ! La condamnation générale est donc prononcée au nom de son nom, celui de son père, et d’un double passé qui ne lui appartient pas. Certes, elle a éclairci les rangs de son parti, mais il doit y rester quelques vieilles bêtes nocives, pour lors silencieuses et tapies dans la nuit des souterrains. C’est pour toutes ces raisons que je brandis un mouchoir blanc, fort ressemblant à un bulletin de vote.
Enfin, plaignons les petits moutons. Ces jeunes macronistes qui chantent et dansent, ignorant qu’ils seront mangés après avoir mangé du poulet américain javellisé, du bœuf anglais aux hormones, après avoir vu les fermiers français se suicider et leurs terres passer aux mains des agriculteurs de la FNSEA, transformées en friches (comme les zones industrielles), puis en champs sans arbres et sans haies où pousseront à force de pesticides les récoltes qui les empoisonneront, eux et leurs enfants. Ces bourgeois de la droite bien-pensante, contraints de suivre leurs chefs félons et opportunistes, de voter pour un hollandiste-mondialiste, ou l’inverse, bête inconnue et bizarre, après l’avoir honni cinq années durant. Ces socialistes naïfs qui n’ont jamais douté du progrès en marche automatique vers plus de progrès ! Ces ouvriers, employés et petits fonctionnaires qui, menacés par le chômage, ne savent plus à quel saint se vouer, car de saints (je veux dire d’hommes et de femmes plus soucieux du bien de tous que du leur) il n’en est plus. Ces gens, pris dans les mâchoires des traites à payer, de la fermeture toujours possible de leurs entreprises et administrations, vivant dans l’angoisse des catastrophes. Ces petits entrepreneurs et commerçants assiégés par le fisc et les seules possibilités de vendre des produits frelatés ou de ne pas vendre des productions trop chères pour la bourse de leurs concitoyens. Ainsi devrait aller ce pays flageolant, sans cap autre que l’argent, sans culture propre (M. Macron ne l’y a pas trouvée, il a raison, l’école et les médias lui ont tordu le cou), sans for intérieur autre que le vide imposé par les petits écrans. Pays exploitable encore un peu, peuple qu’on déracine peu à peu, manipulable comme n’importe quel peuple. Seuls les bobos et les milliardaires, comme les bouchons des mauvais bordeaux, pourront flotter sur les marées boueuses. Ma joie éclate. J’ai des livres à lire, à écrire. Seul espoir de survie. Que ma joie demeure !
Le 27/IV
#. Suicide en direct. M. Dupont-Aignan annonce devant micros et caméras qu’il soutiendra la candidature de Mme Le Pen pour la dernière ligne droite des élections à la présidence et qu’il fera campagne à ses côtés. Il est vrai que certains points de son programme sont identiques à ceux du programme de Mme Le Pen. Il est en accord avec lui-même par conséquent. C’est néanmoins un suicide politique. M. Dupont-Aignan est mort en tant qu’homme politique. Il a trahi, comme la plupart de ses confrères, mais dans le mauvais sens.
Le 29/IV
#. La campagne, à peu de jours de son dénouement, est entrée dans sa phase répugnante : lors d’une des manifestations du 1er mai, un policier est brûlé par un cocktail Molotov lancé par un de ces « casseurs » qui, aujourd’hui, veulent ouvertement « tuer du flic » ! Ils ont bruyamment applaudi à ce haut-fait, et des membres de la CGT ont laissé entendre qu’ils apprécient le « poulet grillé ». Les passions ont été chauffées à blanc par les médias tombés dans la détestation unanime de la candidate frontiste. C’est un tir continu, incessant, quelque chose comme des orgues de Staline pilonnant les lignes d’en face. Cette unanimité, de style mussolinien (*) et fasciste, me cause un profond malaise. À certains elle donnera l’envie de voter pour Mme Le Pen, c’est plus que probable. Nous attend une confrontation directe entre les deux candidats, un débat télévisé, c’est pour demain soir.
(*) les mussoliniens défilaient dans les rues en dénonçant leurs adversaires politiques à l’aide de haut-parleurs les désignant à la vindicte publique, au lynchage.
M. Macron a visité successivement nos grands cimetières sous la lune : le bourg martyr et anéanti d’Oradour-sur-Glane, et le Mémorial parisien de la Shoah. Il s’est aussi incliné devant une plaque commémorant l’assassinat d’un jeune algérien poussé dans la Seine par de véritables fascistes. C’est embrigader les morts dans une cause politique partisane, les réquisitionner sous sa seule bannière tout en disant à l’adversaire ce qu’entendront fort bien les esprits simplistes : « Tu vois, tu n’y as sans doute pas pensé, parce que tu es du parti des exterminateurs, des nazis ! » M. Alain Finkielkraut a eu raison de s’émouvoir, mais peut-être insuffisamment. La haine est comme la déraison par le goût du pouvoir, la chose du monde la mieux partagée, et contrairement à ce que prétend l’humoriste, il y en a encore assez pour tout le monde. Mon écœurement me fait peur !
Le 2/V/2017
Affaires religieuses
A.R. 4, Carnets d’un Fou LI, avril 2017
(Information : Carnets d’un Fou XLVIII, janvier 2017, A.R. 1)
En cette lumineuse matinée de printemps, sœur Évangéline Quincampoix ouvrit la fenêtre de sa chambre. Ses narines furent assaillies par une odeur affreuse qui manqua la faire vomir. Le Christ mit à profit cet instant d’horreur pour entrer chez elle, non pour lui faire un enfant qui aurait été son fils, il n’était pas d’humeur à la bagatelle, mais pour l’entretenir des merveilles pascales :
« – Sais-tu, ma petite Évangéline, que dans quelques jours je vais rendre vie à Lazare, qui gît mort dans son cercueil de pierre.
– Seigneur mon Dieu, comment penses-tu faire une chose pareille ? Il est mort on ne peut plus mort et son cadavre nous empuantit déjà ?
– Je sais, petite sœur, saint Jean raconte cela, mais sache que je vais ressusciter Lazare, c’est le mot, et aussi le sanctifier !
– Comment cela, Seigneur ?
– Eh bien, il aura sa gare dans la Babylone Nouvelle, dans la sainte ville de Paris, entre la rue de Rome et la rue d’Amsterdam. Est-ce que ça ne te suffit pas ?
– Seigneur mon Dieu, je te rends grâce et suis ton humble servante ».
Évangéline tomba de tout son long sur le plancher et ne sortit de sa torpeur qu’à la fin de la journée.
Mehmet de Saint-Ouen, à l’approche du ramadan, feuilletait son saint Livre. La Sourate II, 102, lui proposa ces versets :
« Ils (les démons) enseignent aux hommes la magie, / et ce qui, à Babil (*), avait été révélé / aux deux anges Harout et Marout (**). / Ces deux-là n’instruisent personne sans dire : Nous ne constituons qu’une tentation, / ne sois donc pas incrédule. // Les démons apprennent auprès d’eux / les moyens de séparer le mari de son épouse ; / mais ils ne peuvent nuire à personne, / sans la permission de Dieu »(Trad. de Denise Masson, Folio classique, 1233).
(*) Un monticule situé dans la partie nord de Babylone
(**) « Intégrité » et « Immortalité », ces anges connurent leur chute par amour pour une femme (Cf. note de D. Masson).
Mehmet, qui était très pieux et infiniment croyant en dépit de sa fréquentation assidue des bistrots de Saint-Ouen (93), se jeta sur son tapis de prière tourné vers La Mecque, frappa plusieurs fois sa tête sur le sol en signe de soumission. Cette sourate l’inquiétait où régnaient deux anges qui ne lui semblaient pas très catholiques. Il s’adressa au Prophète : « Ô doux prophète, porte-voix des minarets, tu me vois saisi de crainte. Réponds je te prie à mes questions car je suis dans les doutes les plus cruels : Comment des anges déchus, des démons, peuvent-ils parler en ton nom et en celui d’Allah le Miséricordieux ? Comment, ayant connu la chute, peuvent-ils me recommander la vraie croyance ? Comment peuvent-ils enseigner la séparation entre l’homme et la femme ? Comment Dieu pourrait-il leur accorder la permission de nuire ? Mon Dieu peut-il nuire à qui que ce soit ? ». Le Prophète fut tranchant dans ses réponses : « Mon fils, ne te pose pas de questions inutiles, elles corrompent ta simplicité naturelle et la pureté de ta foi. Allah se sert de tous les anges bons ou mauvais, car il a de nombreux outils dans son divin atelier. Cela le regarde, lui seul, et Yahvé ne fit jamais autrement. Ces deux-là savent la vraie croyance pour l’avoir perdue ! Ils savent tout de l’homme et de la femme, car ils ont fréquenté les maisons closes célestes et terrestres, ont aimé la même femme, ce dont tu dois te garder, ils te le disent eux-mêmes. Quant à la femme, ce n’est pas grand-chose, elle te fera des fils, tu la chasseras si elle te déplaît, tu n’auras même pas à l’aimer. Aimer ? Quelle sottise ! Quelle perte de temps ! Quant au Miséricordieux, sache qu’il n’a aucune pitié pour ceux qui le dérangent, l’agacent, lui nuisent… Un jour il les jettera en enfer, les égorgera comme brebis galeuses, les empalera, les exterminera eux et leur descendance, toujours, partout et à jamais ».
Ce dimanche 2 avril, la douce Évangéline et l’innocent Mehmet se trouvèrent anéantis, couchés au sol dans leurs logis respectifs. Rien ni personne, dans les rues de la Grande Babylone, ne vint troubler la tranquillité laïque et républicaine.
À Rigolade-House
19 avril 17, Carnet LI
La réunion mensuelle eut lieu dans une atmosphère étrange, et fut entièrement dirigée par le baron. Il prit place devant le bar, exigea que les membres présents de la « société » se fissent servir leur boisson de prédilection et qu’ils voulussent bien l’écouter dans le silence, car il avait la plus importante des communications à leur faire. Je m’empressai de servir les alcools demandés. Tous les membres de la « société » se conformèrent de bonne grâce aux exigences du baron, lequel prit enfin la parole.
« Mesdames et messieurs, c’est avec gravité que je m’adresse à vous ce soir. Je serai bref. Vous réfléchirez à mes propositions et m’interrogerez dans un mois. Plusieurs nuits d’insomnie m’ont porté à prendre de définitives résolutions qui vont changer les projets que je vous avais annoncés et engager dans une voie toute nouvelle, pour eux comme pour moi, ceux d’entre vous qui seront volontaires pour me suivre.
Nous avons tous observé que le régime sous lequel nous sommes tenus de vivre, ou plutôt de survivre, est parvenu au stade ultime de la décomposition. Le pays agonise, la finance en enrichit beaucoup et en appauvrit plus encore. La corruption, le délit d’initiés, le pantouflage, l’abus des biens sociaux, les faux-emplois, la fraude fiscale règnent partout et par tous les temps. Le bien de la nation est le dernier des soucis de nos politiciens-rentiers, de nos hauts fonctionnaires. Outre cela, des bandits, des assassins courent les rues, car ils sont si nombreux qu’on ne sait plus où les enfermer. Nos prisons débordent. Nos policiers sont las de voir relâchés les criminels qu’ils ont eu tant de mal à traîner devant les juges. Pour couronner le tout, les futures élections nous laissent dans la compromission et le doute. Non, mesdames et messieurs, cette situation ne peut plus durer.
Nous vivons les uns et les autres dans une relative aisance, voire dans les conforts bourgeois et aristocratiques. Quoique baron, et vivant fort bien moi aussi, j’ai pris conscience de mes devoirs, de nos devoirs ! Le parti progressiste régnant s’étant, au cours du temps, subrepticement métamorphosé en parti régressif de la profitabilité personnelle, il nous appartient, à nous, issus de la France réactionnaire responsable mais non coupable, d’inverser la tendance, de rendre à ce pays sa valeur, ses valeurs d’humanité, son honneur. Je ne vous propose pas moins qu’une révolte armée destinée à devenir révolution. Pourquoi eux seuls devraient y prétendre et s’en prévaloir ? En conséquence, notre Parti des Marges et des côtés conservera son nom, mais prendra, dans un premier temps du moins, les aspects d’un Parti de l’Ombre, dirigé par un cabinet de l’Ombre dont je serai le Grand Maître, et il entamera son action, y compris les armes à la main, au plus tard dans un mois, et je vous communiquerai les décisions pratiques lors de notre prochaine assemblée. Rigolade House restera notre centre secret protégé par ses activités rafraîchissantes et culturelles ».
Le baron se dressait devant la petite assemblée, tel un bizarre Robespierre doublé d’un Saint-Just soudain débordant d’une énergie communicative. Unanime, électrisée, l’assistance lui fit une ovation debout en bonne et due forme. On se déclara prêts à le suivre, à engager sous son autorité le combat contre l’injustice et l’immoralité. On chanta la Marseillaise, on s’étreignit dans l’émotion et l’enthousiasme. Seul le commandant Déroulède, à l’heure de se séparer, glissa quelques mots à l’oreille du baron qui lui sourit et lui mit la main sur l’épaule.
Carnet LI, avril 2017 (À suivre)
Définitions-éclair
Tabac : Drogue cancérigène en vente libre. « J’ai du bon tabac dans ma… tu n’en auras pas », comptine pour apprendre l’altruisme aux enfants. « Passer à tabac », prétendre faire du bien à autrui.
Tabou : Il n’en est plus aucun officiellement. Officieusement, le terrain du langage en est miné. Il est donc inexcusable de penser et dire : que les coupables des méfaits peuvent éventuellement en être responsables ; que les Arabes furent les premiers colonisateurs des actuels territoires de l’Algérie ; que le « populicide » des Vendéens fut une ignominie révolutionnaire répugnante, etc. Dans notre société sans tabous, on parlera donc surtout pour ne rien dire.
Talent : Cette qualité distingue, éventuellement elle peut être bénéfique à la société, elle est donc exécrable : « […] cette lutte sera sans trêve si vous avez du talent, car votre meilleure chance serait de n’en pas avoir… », Balzac, Les Illusions perdues
Tapage : La loi ne l’interdit que s’il est nocturne. Vaine précaution : les tapeurs n’ont pas d’heure.
Téléviseurs : Boîte à ordures de très haute technologie. Les senteurs qui en émanent procurent aux masses l’hypnose à domicile, laquelle se transforme d’ordinaire en anesthésie générale ou en American Dream.
Temps : En avoir pour ne rien en faire est notre ambition la plus courante. Alors on lui veut du mal : cela s’appelle tuer le temps.
Tennis : Ce sport, outre la luxation de l’épaule ou du coude, vous procurera la plaisir d’être considéré comme un vieillard à trente ans.
Terre : Planète habitée, c’est indéniable, mais devenue inhabitable. Les efforts cosmonautiques actuellement entrepris pour la quitter ne démentent pas cette impression.
Tête : On entend dire fréquemment « Tu en fais, une tête ! » Ne prenez pas la chose en mauvaise part. Elle semblerait démontrer que vous en avez une.
Théocratie : Habile moyen d’imposer une tyrannie dont la responsabilité est dévolue à un autocrate hors d’atteinte car assis sur un trône de nuages.
Théologie : « Comme on sait, elle traite avec une minutieuse exactitude de l’inconnaissable », Anatole France. Auguste Comte voyait un « état fictif » dans le théologique. Autrement dit, du pur roman. Ce ne sont pas les prêches de la messe dominicale en la cathédrale Notre-Dame qui nous feront changer d’avis. Ils l’aggravent : ce sont paroles de fous et de déments !
Tolérance : Compréhension mêlée de sympathie que mes contemporains exigent de moi pour tout ce qui les concerne, sans qu’ils pensent un instant à me rendre la pareille. « Tolérez mon intolérance » a écrit Jules Renard.
Tourisme : On y acquiert aujourd’hui la gloire, comme autrefois sur les champs de bataille. N’entend-on pas : « J’ai fait le Taj-Mal… j’ai fait la terre de Feu… » sur le même ton que « J’ai fait Austerlitz… J’ai fait la campagne de France… » ? Le tourisme précéda le colonialisme. Qui ne se souvient de MM. Marco Polo, Amerigo Vespucci, Christophe Colomb, Livingstone, Savorgnan de Brazza… ? Maintenant il le suit. Des gens très riches traversent des territoires où survivent à grand peine des gens très pauvres dont ils ne parlent pas la langue ; les ayant photographiés et filmés, ils croient avoir fait une bonne action. Le professeur John Michael Trigano, de l’université du Michigan, dans son ouvrage Tourists around the Madball, énonça cet adage : « L’homme est un touriste pour l’homme » (Ch. XII, De l’agressivité bestiale à l’indifférence aveugle).
Touriste (Le) : Rentré chez lui, il soutient qu’il a voyagé. Conseillons au lecteur curieux de lire ce passage du Voyage en Orient, où Nerval considère le touriste au pied des pyramides : il ne le regrettera pas !
Trac : État nerveux pénible affectant l’imprudent décidé à se produire devant ses semblables.
Trahir : « … on est souvent satisfait de l’être (trahi) par soi-même », La Rochefoucauld. Dans ce cas la chose est généralement indolore. Si un tiers nous trahit, c’est une tout autre affaire.
Travailler : Tant à dire ! Retenons ceci : « … tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser », Baudelaire. Commentaire : il arrive que l’on puisse faire les deux. Travailler comme un nègre, expression sans doute forgée dans la bouche d’un blanc paresseux. D’arrache-pied, venir à bout d’une tâche éreintante avant d’entreprendre un labeur épuisant. Le travailleur « d’arrache-pied » est d’ordinaire perdu pour toute vie sociale. Du chapeau, façon habile d’échapper aux corvées manuelles.
Tristesse : Ne prête pas à rire. Semble avoir ses adeptes pourtant, en dépit des mises en garde : « Prenez garde à la tristesse. C’est un vice » (Flaubert, à Maupassant).
Troc : Durant l’âge d’or, faisait des affaires un agréable commerce.
Trois : Utile dans une conversation : l’un peut empêcher les deux autres d’en venir aux mains.
Trucider : Variante excitante, et même plaisante, de tuer. Le « trux » initial signifie « féroce ». On tuait férocement du temps que la chose était un vrai plaisir.
Tu : Concédons ceci à la poésie : « L’exil et la mort / Pour moi sont là / Où tu n’es pas », Luis Cernuda.
Tyran : La réponse d’Épictète au tyran paraît la seule possible : « – Je te montrerai que je suis le maître. – Et comment cela ? Zeus m’a fait libre. Crois-tu peut-être qu’il devrait laisser asservir son propre fils ? Tu es le maître de mon cadavre, prends-le.
Fin des Carnets LI, pour avril 2017
Rappelons au lecteur que ces chroniques ont été écrites un mois, parfois un mois et demi, avant qu’il ne les lise, d’où une possible impression, parfois, de déjà lu !
Michel Host
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