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Carnets d'un fou -1

Ecrit par Michel Host 25.02.11 dans Ecriture, Ecrits suivis

Carnets d'un fou -1

 

I. 15 décembre 2009


Michel HOST,

Carnets d'un fou

Rétrospectivité / Prospectivité / Objectivité / Subjectivité / Invectivité / Perspectivité / Salubrité


« De toute façon, un homme pondéré, soucieux de ses
vacances et de sa retraite, évite d’assassiner les autres à la légère. »
Alexandre Vialatte




Ces Carnets d’un fou sont un tissu d’observations et de réflexions. Tissu déchiré parfois, car enfoui dans le sépulcre de l’impubliable : deux éditeurs, craintifs, ont fait marche arrière tant les timides et peu nombreuses audaces qu’ils portent leur ont paru devoir contrarier leur bonne réputation, leurs chiffres de vente et leur bonne complicité avec la chronique littéraire parisienne. Seule une publication en revue leur est donc accessible. La Vie littéraire les accueille : qu’elle en soit remerciée. Ouverts en 1999, ils feront donc défiler des « vues » d’un passé proche auxquelles, ici ou là, des commentaires concernant notre proche actualité fourniront d’autres perspectives. Nous attendons monts et merveilles de cette alchimie.
Michel HOST

Nous mesurons la valeur de l'individu à
la somme de ses désaccords avec les choses, à son incapacité d'être indifférent, à son refus de tendre vers l'objet.
E.M.CIORAN, La Tentation d’exister



# Notations : juin-juillet 1999
¤ Commentaires : décembre 2009

# Le style ne serait-il d'abord respiration et cadence? Musique? Tonalité, atonalité? À cette aune, peu en auront eu en ce siècle : Claudel  (n'en déplaise! souffle long), Céline (eh oui! son métro émotif), Blondin (respiration légère, matinale), Duras (on aime ou pas, je ne sais définir, mais il y a la cadence, souffle coupé), et quelques autres, sans doute, que j'aurais mal lus.

# Plus rien que poèmes et fictions. L'exégèse, peu ou prou, touche à la catéchèse.

¤ Le style n’est affaire que de pages nues où l’on se met à nu… Les autres lieux d’écriture sont simples prospectus, exégèse, travaux du vide destinés au néant. Quant à la nudité, ne nous y trompons pas, elle est retorse et source d’autres mensonges. Elle a ses propres moyens. Au vrai, arrachons-nous la peau, faisons saigner la bête.
(Ces commentaires auront toujours une dizaine d’années de décalage, et seront de ce beau bleu profond que proposent les ordinateurs de dernière génération. Dire que les ordinateurs eux aussi ont des enfants.)

# À Saint-Brieuc, les oiseaux de mer crient par-dessus les rues encaissées de la vieille ville. Personne ne s'en émeut, ne semble entendre leur plainte magique.  L'habitude sans doute.

À Saint-Brieuc, M.R., romancière parisienne et bourguignonne, dédicace ses livres dans une grande librairie, partageant une table minuscule avec un auteur local. Accueil du gracieux autochtone : " Les écrivains parisiens n'ont rien à faire ici, seul les romanciers bretons devraient signer en Bretagne." Elle le mouche comme il convient. Se targuer d'un proche troisième millénaire et toujours chanter : les Bretons en Bretagne et les Nègres en Afrique...  Crâne de granit !

#  Michel Houellebecq nous a quittés. Il pêcherait la truite, dit-on, dans le Loch Gamhna.  Fichtre ! qu'allons-nous devenir ?

¤ Il ne convient pas de se montrer trop méchant avec les confrères. Nous partageons les mêmes maux et peines. Que nous gagnions gros ou une misère, le fisc nous assaille. Et les éditeurs, comme disait Arno Schmidt, mangent leur bisque de homard dans nos crânes. Les lecteurs, cornaqués par les chroniqueurs Roux & Combaluzier, montent et descendent, voire tournent en rond au manège de chevaux de réforme. Certains restent… Masochistes ou liés par l’habitude ? D’autres s’en vont ? Il semble que le destin de l’ami Michel, avec qui je me saoulais autrefois, soit de s’en aller. Ces derniers temps, ce fut l’Espagne, et, dans le futur, dit-on, ce serait le Monomotapa.

# Serbie-Kosovo. Instructive cette fin de guerre non déclarée. L'art militaire aura fait de grands progrès. Le dernier cri des suppliciés : les spécialistes, ayant constaté les inconvénients qu'il y a à laisser s'affronter les militaires, ont choisi de massacrer, bombarder et exiler les civils de l'un et l'autre bord.  Le perdant est le premier qui dit  « Pouce !  je vais manquer de civils.» Avantages : le spectacle est de qualité et l'on conserve deux armées en parfait état de marche.

¤ Les guerriers sont continuellement remplacés par de valeureux poseurs de bombes. Leur cible est toujours la même : les civils, le plus souvent leurs coreligionnaires… femmes, hommes, enfants, vieillards… La chair à canon devenue chair à bombes. Bizarre ce fait que l’idée de s’asseoir à une table et de négocier ne vient à l’esprit de personne. Les animaux, que Dieu priva de la parole et, dit-on, de sens, se comportent plus raisonnablement. Si j’étais Dieu, je rendrais les humains muets.

# Avant-hier Balzac, hier les Hussards, tout récemment les amantes traîtresses de la Résistance... Demain, quoi ?  On n'en finit pas de brasser du passé et de l'histoire parfois trouble dans les dossiers torchés à la va-vite du  Figaro littéraire, comme si rien n'existait plus de ce monde-ci. On est peu curieux. Cela dit, ces pages sont infiniment plus lisibles que les psittacistes placards de l'incurable Le Monde.

¤ Tout cela a-t-il encore un sens, un possible écho dix ans plus tard ? Je l’ignore. La mode est au voile, à la burqa, aux minarets, au CO2… On progresse, on visite le présent, ses territoires non moins étonnants.

# Un artiste présente au jury sa cérémonie de  mariage comme oeuvre-témoignage de sa maîtrise de fin d'études aux Beaux-Arts. Épisode religieux des plus conventionnels par ailleurs. À l'intervieweur il déclare que, s'il ne lui décerne pas son bon de sortie,  le jury montrera sa stupidité et confirmera qu'il n'est composé que d'un ramassis de vieillards égrotants et hors jeu. Prenons le pari que ledit jury ne voudra pas se couvrir de pareil opprobre. Ce jeune homme s'ouvre un avenir lumineux. On a vu cela à Paris,  ce  24 juin 1999.

# N'oser pas se faire des ennemis, c'est les avoir sans les connaître. La pire des politiques.

# Sur l'Ile dite de Beauté, cent terroristes encagoulés de certaine Armata Corsa, armés jusqu'aux crocs, donnent soirée en grand tralala avec sermon, devant la presse convoquée et présente.  Les gendarmes ne semblent pas avoir été avertis. Il est vrai  que les gendarmes se couchent tôt.  J'imagine, sur le continent, pareil colloque  nocturne de l'Armée de Libération de la Bourgogne, avec deux mille C.R.S. dans les taillis, le G.IG.N. à pied d'œuvre et les parachutistes en réserve. N'est-il pas temps que la France prenne son indépendance de la Corse ?

¤ L’obscurité de ces questions, comme celle de l’existence de Dieu pour Protagoras d’Abdère, empêche qu’on en décide une fois pour toutes. Remettons-les à plus tard.

# À la campagne. Thomas Bernhard n'appréciait que le temps suspendu du trajet et le lieu mouvant du déplacement d'un lieu à l'autre. J'aime quitter, me déplacer, arriver. À  130, Artémis, la chatte, miaule affreusement.  Pourtant  - quelle fatigue ! -    il faut monter à 160 pour faire lâcher prise à des Hollandais frimeurs au volant de japonaises rutilantes. La chatte alors se tait, elle aime la poésie du vent.
5 /  VII / 99

¤ Comme je regrette, aujourd’hui qu’Artémis, cette bête merveilleuse, n’est plus, de l’avoir fait imbécilement souffrir. En fait, la haine des Hollandais frimeurs et de l’industrie nippone rendrait idiot n’importe qui… Mais tout de même, avouez qu’il y avait de quoi.

# Je me demande ce qu'est la poésie. Comme une femme le matin dans la cuisine entend chanter un oiseau et s'interroge. La poésie, plus que toute autre forme écrite, pour moi se définit par l'usage que d'elle-même elle exige. Il est des poésies qui, sous les miroitements du verbe, ne sont qu'heureuses  redditions du poète  à soi-même. Il en est d'autres où,  à parler de soi,  il nous suggère les combats sauvages qu'un homme digne de ce nom doit livrer : Baudelaire, Rimbaud, Char  - même s'il m'agace -, et Cioran, oui, poète, auront été de rudes guerriers. Et Mallarmé, qui affronta les vertiges. Plus quelques autres poètes qui savent dire bonheur, rire, amitié, nostalgie. Je pense à Desnos,  à Supervielle… Elles portent aux armes, à la beauté vivante.

¤ L’énigme de la poésie m’interroge chaque jour. C’est « la chose », le cante hondo. Ce langage d’avant le langage, qui nous énonce sans que nous ayons notre mot à dire. C’est force. C’est jaillissement. « Poète n’est pas maître chez lui. » - s’amusait Michaux. C’est le profond secret de l’âme, du cœur, du corps. L’émoi de l’esprit, l’esprit très exact de la langue. La dépense exigée est si grande que je ne puis être poète chaque jour.

# Avons tenté de faire entrer une bibliothèque par la fenêtre de l'étage. Échec total. Les livres eux-mêmes n'ont pas l'air de tenir à s'élever. Fichue époque.

¤ Il faudra considérer, j’imagine, la future bibliothèque numérique, non comme une catastrophe, mais en tant que réelle commodité. Évidemment, je n’y suis pas prêt. Je ne conçois pas mes mains caressant un écran au lieu d’un vélin au grain délicat, ni mes murs nus, où je n’accrocherais plus que des gravures et des tableaux. Et nul ne l’ignore, une belle épaisseur de livres reste un efficace isolant thermique propre à enchanter l’écologiste qui en chacun sommeille.

# Carnets du grand chemin. Premières pages: "Ces villages où on circule si peu dans les rues..."  "[...] on ne voit presque personne; le vide déployé et oppressant..." D'emblée, Gracq prend congé de l'humain éphémère au profit de toutes les formes de paysages, plus lentes à mourir.  D'emblée j'étouffe.  La conscience, chez ce ciseleur de phrases très belles, est dans le "si peu" et dans le "presque" : on pourrait donc, malgré tout, jeter un regard à l'humain. Je voyage à peine, mais assez pour noter le sourire d'un passant comme un verger édénique, un parfum de femme comme une colline de Provence ! Pour Gracq à Lucerne, les contemporains ne paraissent pas ; seuls viennent à lui des fantômes (le ténor De Reské, Caruso, Chaliapine, le Roi Vierge...); plus loin est évoqué tout un périple espagnol, et pas un bon mot d'aubergiste, pas une image de journalier, de parvenu, pas la moindre rencontre avec une femme de mauvaise vie (bon, j'exagère, Gracq, tout de même!)… l'humain absent. Dans ce secteur, sa plume ne tremble jamais. En dépit de l'admiration, c'est ici littérature de littérateur. Détestable.

¤ J’avoue que le « détestable » est de trop ! Disons que me promener dans un désert d’hommes ou de sables, ce n’est pas vraiment mon truc.  D’ailleurs, qui ne s’est pas quelques fois entretenu (au moins) avec una mujer del partido, comme on disait au temps de Cervantès, ne sait que peu des femmes et de la vie.


Carnets d’un fou / séquence 1 / fin

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005