Camisole, Salomon de Izarra
Camisole, janvier 2016, 107 pages, 16 €
Ecrivain(s): Salomon de Izarra Edition: Rivages
Edgar Griffith, expert comptable, reçoit mission d’enquêter sur les comptes d’un établissement d’internement de malades mentaux.
Accueilli par le directeur Oswald Barker, qu’il trouve d’emblée « professionnellement inquiétant », Edgar découvre un univers concentrationnaire angoissant dont les cloisons vont se refermer violemment sur lui à l’occasion d’un orage terrifiant qui détruit le circuit électrique de l’asile.
Les bâtiments à l’étrange architecture mouvante se trouvant eux-mêmes isolés dans une région à la nature hostile, l’action se déroulant dans un lieu clos d’où l’acteur principal ne peut a priori s’échapper, les personnages qui y sont pensionnaires ayant des comportements incohérents, agressifs, de plus en plus violents, l’orage qui fait rage, la nuit sans autre lumière que celle des éclairs : l’auteur met rapidement en œuvre les ingrédients classiques du récit fantastique dans la lignée de Poe, lui aussi prénommé Edgar (coïncidence ?).
Salomon de Izarra possède l’art narratif de faire monter progressivement la tension. Le héros est entraîné dans une trajectoire hallucinée qui le mène d’étage en étage dans une fuite éperdue et solitaire alors que tous les résidents de l’asile veulent sa peau pour les uns, son esprit pour les autres.
L’action est sanglante, certaines scènes s’apparentent au vampirisme des romans du XIXe siècle, d’autres sont assimilables au gothique contemporain, d’autres encore relèvent carrément du genre gore. Il faut dire que Salomon de Izarra est membre d’un groupe de black metal…
L’enchaînement rapide des séquences narratives évoque la succession de situations scabreuses que vit le personnage principal de ces films d’horreur dont l’objectif est de tenir le spectateur en haleine de bout en bout du spectacle.
On n’est pas très loin non plus de ces jeux vidéo dans lesquels le héros est sans cesse confronté à des pièges à franchir.
Dans ses tentatives haletantes d’échapper à la meute, Edgar est contraint de quitter l’étage où il pense avoir trouvé refuge pour gagner par un cheminement labyrinthique, quasiment initiatique, l’étage supérieur où il subit de nouvelles épreuves, où d’autres épouvantes lui font craindre de perdre l’esprit. Les lieux deviennent mouvants, les murs se déplacent, la linéarité temporelle fait place à des sautes d’époques, la raison chancelle.
Le sixième étage n’en était pas un. Les couloirs avaient fait place à un espace immense dont les limites étaient celles de ma mémoire. J’avais alors franchi la porte qui me séparait de ce monde trop connu. Cet étage, c’était moi gamin…
Il en arrive à se demander si ce qu’il vit n’est pas le fruit de ses propres hallucinations, s’il n’a pas été conduit et enfermé dans cet asile en raison de ses propres manifestations de démence, si ce n’est pas lui le fou, en proie à d’horribles délires.
Cet espace déréglé, insensé, qu’il parcourt frénétiquement, finalement, n’est-ce pas son MOI ?
L’asile est vivant, il est capable de s’adapter. Il dénicherait vos pires cauchemars pour les retourner contre vous…
Le dessein de l’auteur est diabolique. Le lecteur s’y laisse prendre, à tel point qu’à la fin du livre, il se demande ce qui s’est réellement passé, ce qui est quand même un comble quand on vient de lire un récit fictionnel.
Patryck Froissart
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