C’est beau le rouge, Lucia Zamolo (par Yasmina Mahdi)
C’est beau le rouge, Lucia Zamolo, février 2021, trad. Rita Lamontagne, 96 pages, 12,90 €
Flux cataménial
Ce livre élaboré pour décomplexer un grand nombre de personnes, à propos d’un événement simple, naturel mais culturellement tabou, disserte sur l’arrivée des règles. Cette apparition mensuelle accompagne la puberté, est inhérente à toutes les adolescentes (à moins d’être aménorrhée), et néanmoins fort peu mentionnée, ou alors sous forme de boutade ou de grossièreté : « les anglais ont débarqué », « j’ai mes ragnagna », « je suis indisposée », ou encore « les chutes du Niagara », etc. L’arrivée des menstrues est parfois qualifiée par les scientifiques de pathologie, voire de traumatisme ! Cette définition des premières règles parfois douloureuses ne calme pas vraiment la montée d’angoisse ou l’embarras que cause ce phénomène. L’écoulement du sang vaginal se trouve l’objet de répulsions diverses, de honte.
Dans C’est beau le rouge, il faut cacher la chose à toute vitesse, afin qu’elle devienne invisible, ne rien salir, et se protéger à l’aide de bonnes vieilles serviettes hygiéniques « odorantes » ou de tampons « discrets ». Fait avéré, car nombre de femmes cachent leurs protections périodiques lorsqu’elles se rendent aux toilettes et sont gênées si par mégarde il en tombe une du sac (l’on découvre à ce moment-là l’ampleur du marché, le coût financier des protections hygiéniques, restant toujours trop chères). L’anathème qui frappe le sexe féminin semble immémorial, et dans certaines régions du monde, la malédiction dont est frappée la femme réglée est telle qu’elle (dé)génère en violence physique, en ostracisme.
L’autrice aborde cet interdit absolu par l’art graphique de conception minimaliste, à l’aide de traits de plume fortement déliés, de chiffres, de tableaux noirs, roses, ocres, de graffiti, de taches, de coulures, de bulles blanches crayeuses, d’ombres chinoises, dans une mise en page joliment ludique. La condamnation de la femme menstruée est effrayante, démesurée, et c’est là le thème de Lucia Zamolo, dont les références sont sérieuses. Les femmes subissent encore de nos jours la doxa, les superstitions, les excommunications, l’absurdité de croyances infondées. Le sang est également la preuve de la virginité féminine (qui se marchande), et également la libération de la hantise d’être enceinte. Le flux cataménial du grec ancien katamếnia (menstrues), disparaît à la ménopause (du grec méno, règles, et pause, arrêt du cycle ovarien). Elle est en outre considérée comme un signe de déclin. Or, quelques études montrent que parmi les populations à forte démographie, la ménopause est synonyme de libération par la disparition du fardeau des grossesses. En ce qui concerne l’Occident, la ménopause semble un sujet tabou, car très peu d’œuvres littéraires, cinématographiques, en font mention. La ménométrorragie (le saignement de l’utérus et l’association des saignements abondants au moment des règles ou en dehors de celles-ci), entraîne rejets, hantises, dégoût.
Durant des milliers d’années, le flux menstruel déclenchait l’opprobre. Freud pense que l’origine de ces paniques réside dans la peur du sang, liée à la peur des hommes au sujet de la force sexuelle des femmes et de leur capacité de séduire. Par extension, la libido et le désir sexuel des femmes ont été ainsi pointés comme déviance dangereuse.
L’album de Lucia Zamolo, sur le ton de la dérision, interroge nos prohibitions, nos censures, tout en remettant en question les attitudes culturelles et la persistance de nombreux préjugés. Ni niais ni pesant, ce vade-mecum intelligent est à remettre absolument entre les mains de toutes et tous les adolescents. Notons le courage de l’éditeur face au sujet abordé, ainsi que le travail de la traductrice Rita Lamontagne qui a accompli une prouesse typographique.
Lucia Zamolo, née en 1991, a étudié au département de design de l’université des Arts appliqués de Münster. C’est beau le rouge a été d’abord son projet de thèse avant d’être publié sous forme de livre, doté du Prix Serafina en illustration 2019.
Lucia Zamolo a écrit et illustré ce roman graphique exclusif, au format 16,3 x 22,5 cm, sur un phénomène commun à toutes les filles.
Yasmina Mahdi
- Vu: 1397