Brûler le Louvre, Didier Goupil (par Jean-François Mézil)
Brûler le Louvre, Didier Goupil, éditions Zinédi, Coll. Textures, septembre 2019, 122 pages, 12,90 €
Didier Goupil, dans ce livre, se fait galeriste. Il accroche à ses cimaises neuf nouvelles. Ou plutôt, comme il le dirait lui-même, neuf impromptus.
Impromptus ? Non pas que ses textes débarquent à l’improviste et soient sans préparation, au contraire ! Ils ont été l’objet de soins délicats, longuement peaufinés, tout en préservant leur candeur : du grand art ! Mais impromptus pour ce qu’ils ont d’inattendu et de léger – de cette légèreté qui confine à l’essentiel.
Délaissant la grande toile du roman (même si les siens n’ont jamais été des pavés), le voici qui « sent monter en lui une envie de fugue » et qui écrit sur des bouts de carton, de nappes en papier, « des petits carrés de vingt centimètres », des scènes de vie liées à des peintres – vivants ou morts, célèbres ou moins connus, et pour certains imaginaires.
Le voici qui « gribouille et peinturlure avec la joie de l’enfance retrouvée ».
Et « la magie opère ». Il y a quelque chose d’épuré dans la phrase. On reste près du trait. Peu d’encrage. Rien de bigarré. Comme si la page craignait de rougir d’un afflux de mots qui viendrait affecter ses joues éburnées.
D’impromptu en impromptu, Didier Goupil retient ainsi sa palette. Il est un coloriste qui « s’ignore, ou s’empêche ». Il y a en lui, comme en Roger Cosme Estève, « un Matisse caché ».
Y a-t-il aussi en lui un fou qui s’ignore ? Prêt à repeindre « la rampe de l’escalier en vert pomme » ou « le frigo en carotte ». Car l’écrivain, pas plus que le peintre, ne peut échapper à sa propre folie. Comment verrait-il sinon ce que les autres ne voient pas – « cette ligne imaginaire au-dessus » des gens ? Comment saisir au bout du crayon (ou du pinceau) ce que l’œil raisonnable ne peut attraper ?
Folie de repeindre la mer, toujours recommencée.
Folie d’inventer de nouvelles couleurs aux nuages, les merveilleux nuages.
Voilà ce que ces impromptus proposent, peut-être à leur insu, laissant percer çà et là l’émotion comme font les fleurs sous la neige. On se plaît à voir surgir leurs corolles de page en page et à respirer leur discret parfum.
Ces courtes phrases font mouche et saisissent le réel par les cheveux. Ainsi dans La vierge et l’enfant :
« La nuit tourne autour de l’ampoule nue ».
« La boue du fleuve charrie des pleurs et noie des cadavres ».
« Les grands hommes des jardins publics sont en ruine : les obus ont équarri leurs chevaux de pierre ».
« Parfois une chaussure fouille la terre, une poitrine tousse, des lèvres sucent un mamelon ».
Une phrase à la fois classique et moderne qui sait se mettre à nu, mais avec pudeur :
« Dans la nuit des buissons, des mains l’ont saisie, des rires l’ont couchée, des bouches ont mangé sous ses linges ».
On l’aura compris, le plaisir de lire est au rendez-vous avec ces impromptus – ces vécus de l’instant.
Remercions l’éditeur pour la belle typographie… en noir : libre à chaque lecteur d’ajouter sa couleur.
Jean-François Mézil
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