Bonita Avenue, Peter Buwalda
Bonita Avenue, traduit du néerlandais par Arlette Ounanian Février 2013, 514 p. 23,80 €
Ecrivain(s): Peter Buwalda Edition: Actes Sud
Sigerius a été l’un des meilleurs judokas des Pays-Bas. C’est aussi un intellectuel, un mathématicien de génie qui a reçu le prix Fields, l’équivalent du Prix Nobel pour les mathématiques. Il est « le scientifique préféré des Néerlandais ». Il devient le recteur d’une université et, bientôt, c’est à des responsabilités gouvernementales qu’il pourrait être appelé.
C’est ainsi qu’Aaron présente celui qui fut son beau-père. Son beau-père, mais néanmoins ami avec lequel il partage l’amour du judo – les deux hommes s’entraînent ensemble plusieurs fois par semaine –, mais aussi celui du jazz.
Aujourd’hui, Aaron ne va pas bien. Pour le plus grand monde, il est même un « fou patenté ». Il est psychotique.
« D’après son médecin traitant, c’était un patient qui reconnaissait et admettait son mal – ce qui signifiait qu’il avalait ses capsules de son plein gré –, et donc, jugé apte à vivre de manière autonome. Mais il ne fallait pas lui en demander davantage. Il était absolument dépourvu d’ambition. Son mot d’ordre désormais était “éviter”, éviter les excitations, éviter les tensions, éviter tout ce qui pourrait le pousser à ne plus éviter ».
Aaron était en couple avec la belle-fille de Sigérius, Joni. C’était alors les débuts d’Internet. Les deux jeunes avaient ouvert un site pornographique. Aaron officiait comme photographe et avait pour unique modèle Joni, qu’il faisait passer pour une Américaine. Le site était payant. Le succès fut éclatant à tel point que les deux jeunes gens devinrent millionnaires, une réussite symbolisée par l’achat d’un luxueux yacht.
Leur petit business aurait pu rester secret si Sigérius ne l’avait pas découvert. Mais s’il l’a découvert, c’était qu’il avait pris l’habitude d’écumer les sites pornographiques, notamment pour oublier une liaison avec une étudiante…
« Il y a peut-être une loi qui dit qu’une déflagration de cette ampleur déclenche des mécanismes imprévisibles, propulse des ondes de choc qui, à leur tour, ont des effets capricieux, créent des malentendus, forcent les décisions ».
Bonita Avenue est un livre ambitieux, et pas seulement par sa taille.
L’intrigue est construite à la manière de cercles concentriques. L’auteur suit un premier personnage dans une situation présente. Il explore son passé, pourquoi il s’est retrouvé dans telle situation, s’intéresse ensuite à son futur. Il passe à un autre personnage, revient à ce premier, et ainsi de suite.
On dirait que Peter Buwalda tente d’épuiser toutes les possibilités d’une situation de départ, comme s’il voulait que son lecteur sache tout de ses personnages, mais parfois jusqu’à l’excès, comme si tout devait être expliqué, comme si toute situation, toute parole, évoquait nécessairement un souvenir, une situation antérieure. Il y a une volonté quasiment proustienne de l’auteur de vouloir enrichir ainsi son intrigue. Revers de la médaille, le livre tire parfois un peu sur la longueur, en multipliant les apartés, les digressions, les scènes s’allongent parfois avec une profusion de détails, de situations, d’états d’âme, qui ont tendance à diluer un peu le propos. On est même irrité de cette complaisance à en faire toujours plus.
L’auteur est habile. Il sait ménager ses effets. Au fur et à mesure, il fait apparaître de nouveaux éléments. On croyait une situation bien établie mais par un détail, une remarque il nous prend au dépourvu et remet en cause tout ce qu’on a pu lire avant, nous oblige à reconsidérer les choses sous un autre angle. Comme si rien n’était ce que l’on croyait, que chaque réalité cachait une autre réalité.
Aucun de ses personnages n’est là pour rattraper l’autre. Mensonge, lâcheté, folie, vice, violence. Chacun est obnubilé par sa réussite, son petit bonheur, quitte à se comporter de la pire des façons pour y parvenir. Le passé finira toujours par les rattraper et les confronter. Mais les leçons ne sont pas toutes faites pour être retenues.
Yann Suty
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