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Bondrée, Andrée A. Michaud

Ecrit par Léon-Marc Levy 27.10.16 dans La Une Livres, Rivages, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman

Bondrée, septembre 2016, 362 pages, 18,50 €

Ecrivain(s): Andrée A. Michaud Edition: Rivages

Bondrée, Andrée A. Michaud

 

Roman sublime de l’entre-deux : entre deux pays, entre deux langues, entre deux lolitas, entre deux regards, entre deux lumières. Bondrée se tend dans une nébuleuse fascinante, où les personnages, les événements, les lieux sont tous nimbés de mystère, d’insaisissable, de replis sombres et dangereux. Zaza, Sissy, deux jeunes filles lumineuses éteintes à jamais, peut-être à cause de leur luminosité qui heurte de plein fouet les zones d’ombre des hommes ? Andrée A. Michaud (la jeune narratrice se prénomme Andrée et l’inspecteur chargé de l’enquête se nomme Michaud, sans compter un personnage nommé Ed McBain !) joue avec une dextérité fabuleuse des contrastes les plus marqués : à commencer par le cadre même, Bondrée (Boundary) où le soleil d’une station balnéaire située à la frontière du Maine (USA) et du Québec, et les noirceurs soudaines du ciel qui apportent de violents et brefs orages, constituent une parfaite métaphore du drame qui va s’y jouer. Contraste aussi, la compassion qui anime les cœurs de la petite communauté de vacanciers et la concupiscence des regards masculins sur les très jeunes filles – voire la jalousie des femmes plus mûres. Tout, dans cette histoire, est frontière, mélange. Entre-deux disions-nous.

Tout, même la langue d’Andrée A. Michaud qui, dans une fluidité surprenante, fait coexister les deux langues à cheval sur la frontière et qui se mêlent à Bondrée :

« Michaud avait cependant insisté pour qu’il recommence son histoire, ask him what time it was, Larue, car la nervosité de Dumas ne lui disait rien de bon ».

Rien d’artificiel à ce melting, le lecteur s’y coule doucement, comme dans une musique lancinante et séductrice.

La pureté un peu canaille des deux jeunes victimes va se briser sur les mâchoires de pièges à ours au cœur de la forêt de Bondrée. Des pièges, Andrée Michaud en tend en permanence au lecteur aussi. « Who Zaza, why ? » « Who Sissy, why ? » devient le refrain obsessionnel de cette lecture. On ne tient pas en place tant on veut savoir qui a pu salir ainsi l’immaculé, pourquoi ? Ce whodunnit – pourtant classique dans la littérature policière – est ici d’une tension inhabituelle. Peut-être parce que les personnages de cette histoire sont tous attachants à leur manière et qu’on imagine mal l’un d’eux en meurtrier sordide, probablement fou furieux.

Michaud (l’auteure) y perd Michaud (le flic). Nous perd. Impossible de ne pas tomber dans les pièges tendus par une narration serrée, impeccablement structurée, qui tourne comme une horloge et nous emporte dans ses mécanismes. Michaud (le flic) s’enfonce dans une angoisse, dans une colère qui se situe au-delà de tout réflexe professionnel. Il est – comme nous – bouleversé par cette affaire.

« Il semblait alors à Michaud que Zaza souriait, que dans cette lumière s’épanouissait l’ultime ravissement de la jeune fille, transgressant la douleur devant l’évocation d’un jour d’été ayant la perfection de la jeunesse. How, Elisabeth ? Why ? Mais le jour demeurait silencieux ».

C’est le médecin légiste qui va extraire le suc de ce drame en citant Shakespeare : « How with this rage shall beauty hold a plea / Whose action is no stronger than a flower ? » « Comment la beauté peut-elle se défendre de cette rage / Elle dont le pouvoir ne dépasse pas celui de la fleur ? »*

Qui a tué ? N’est-ce pas, nous dit Andrée Michaud, les hommes en général, qui ont violé l’innocence de ce lieu, sa « sauvageté » disent les Québécois, en déferlant sur les bords de ce lac magnifique, en foulant le sol de ces forêts magiques, en emplissant le silence de leurs cris grossiers de vacanciers ? N’est-ce pas la nature l’innocence, et les hommes des tortionnaires ?

« Boundary avait perdu son statut de paradis dès lors que des hommes […] s’y étaient installés. Le mal ne pouvait venir d’un être isolé. Il venait toujours du nombre et du surnombre, de l’accumulation des haines avec le nombre, de la proximité de trop de destins orchestrant férocement leur accomplissement ».

Jusqu’au bout, jusqu’au dernier mot, le lecteur retient son souffle tant il veut savoir. Peut-être aussi tant il ne veut pas savoir. Allez savoir.

 

Léon-Marc Levy

 

* William Shakespeare, Sonnet LXV

 

VL3

 

NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.

Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.

Notre cotation :

VL1 : faible Valeur Littéraire

VL2 : modeste VL

VL3 : assez haute VL

VL4 : haute VL

VL5 : très haute VL

VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)

 

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A propos de l'écrivain

Andrée A. Michaud

 

Nationalité : Canada. Née à Saint-Sébastien le 12/11/1957. Biographie : Lauréate du Prix du Gouverneur général du Canada pour Le Ravissement et du prix Ringuet pour Mirror Lake (en voie d’être adapté au cinéma), Andrée A. Michaud construit une œuvre éminemment personnelle qui ne cesse, depuis son premier roman, de susciter les éloges de la critique. Son polar Lazy Bird, porté par des airs de jazz, est paru en 2010 au Seuil, en France, dans la collection Point noir. Dans son dernier roman, Rivière Tremblante, paru en 2011, elle entraîne les lecteurs dans un univers où la mort rôde, impitoyable. Cet automne, elle revisite son premier roman La Femme de Sath, un suspense psychologique qui avait suscité les éloges de la critique.

 

A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /