Bluebird, Geneviève Damas (par Patrick Devaux)
Bluebird, mai 2019, 160 pages, 14,50 €
Ecrivain(s): Geneviève Damas
Le monde des apparences en prend joyeusement pour son grade avec l’adolescente qui raconte son histoire, assez courante dans les faits, entre parents séparés, la mamy chez qui elle s’est réfugiée et sa psy, ouverte, mais avec qui elle n’est pas toujours en harmonie. La personnalité se forge à l’appui de cette observation-introspection habilement pensée : « Chez Papa, je ne me sens pas vraiment chez moi. Quand je dis à quelqu’un que je rentre chez moi, c’est chez Maman. Chez Papa, c’est chez Papa. Il y a quelque chose qui sonne faux là-bas. Pourtant, on a un jardin, un feu ouvert, et beaucoup d’autres choses, genre chacun son ordinateur, l’iPad, la table de ping-pong. Mais c’est comme si la maison ne vivait pas vraiment ».
Enceinte, l’avenir va se jouer sur l’avenir de l’adolescente et la responsabilité de décider de l’avenir de l’enfant. La grossesse, totalement inattendue, sans signes avant-coureurs, décelée tardivement aux urgences, bouleversera la relation mère-fille. L’intrigue, presque théâtralisée à de multiples reprises, a le souci du style et du rebondissement. L’auteur, aussi comédienne, en mène les différents rôles de façon quasi scénarisée. Le lecteur vit littéralement la scène. On peut se sentir les personnages, y compris le bébé dans le ventre de la jeune mère, qui régulièrement s’implique en tant que deux personnes.
Le roman, prétexte à sentiments en sens divers, a lui aussi, avec les mots choisis par Geneviève Damas, des questionnements profonds qui dépassent le contexte de la narratrice : « Pourquoi on t’aime moins parce que tu souffres ? Il faudrait justement aimer plus ». Idem pour ce qui concerne la prise de responsabilité dans les grands thèmes : « Au début, il me semblait renfermé, après j’ai découvert qu’il était déterminé et courageux, il savait ce qu’il voulait et il avait raison parce que moi, plus tard, je ne veux pas salir le monde, mépriser ceux qui partagent la même terre que moi, pousser les autres à devenir des esclaves, mais si on y regarde bien ce n’est pas aussi simple qu’on croit, parce que même les médecins dépendent des industries pharmaceutiques qui ne sont pas des anges et font de la maladie un business ».
En même temps que la narratrice évolue en maturité, l’auteur s’en approprie entièrement le corps, l’âme et la réflexion. On sent l’adolescente pousser dans la réalité comme croît un arbre. La rencontre amoureuse avec Tom qui l’appelle « Bluebird » à cause de la couleur de ses yeux et de sa frêle silhouette est longuement narrée. L’acte physique très brièvement, ramenant d’autant plus le contexte adolescent de l’acte précipité : « Il a demandé si j’avais aimé. Je ne savais pas ».
Quel sera, in fine, pour elle et pour l’enfant le choix de Juliette alors que la mère a le mauvais rôle d’attirer l’attention sur des a priori négatifs quant à la vie ultérieure ? La romancière tire également bien son épingle du jeu à évoquer les vies qui gravitent autour de la jeune personne : « Certaines nuits, quand je ne dors pas, j’essaie d’imaginer le moment où Maman quitte son pays. Elle a deux ans de plus que moi. Le jour n’est pas encore levé, elle part avec une petite valise et un sac, quelques vêtements, des photos, un dictionnaire français-polonais, du pain et du saucisson, une bouteille d’eau, un peu d’argent. Elle laisse tout derrière ».
Grand livre, fines approches psychologiques du choix très fondamental entre être « mère de naissance » ou « maman » dans un contexte d’âge précoce, ce qui, ensuite, conditionnera deux existences.
Tout au long du roman, presque écrit comme un récit, le texte ne quitte à aucun moment ce ton propice à la réflexion de la jeune personne dans l’univers évoqué. On vit une sorte « d’auto-coaching » perpétuel à chercher la solution. Grand art, assez proche du théâtre et de la mise en scène, un monde que connaît bien l’auteur aussi talentueuse comédienne.
Patrick Devaux
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