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Blond comme les blés, Sjón (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton le 07.03.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Métailié

Blond comme les blés, Sjón, éditions Métailié, janvier 2022, 119 pages, 16 €

Blond comme les blés, Sjón (par Martine L. Petauton)


100 pages pour se souvenir – exactement parallèle à la lecture – que les pays du Nord ont recelé, et subissent encore nombre de groupuscules d’activistes d’Extrême Droite, et autres engeances néo-nazis. 100 pages pour que l’Histoire la plus noire de l’Europe contemporaine sonne à notre mémoire : le Nazisme en marche était – aussi – un monde industrieux, minutieux dans le travail, un monde d’ingénieurs/ouvriers passe partout, qui avançaient la besogne à l’ombre de cahiers des charges dûment remplis, dont celui de la Shoah elle-même ! 100 pages, pour enfin clignoter sur notre actualité la plus brûlante, celle des populismes en action, et des propos inouïs de candidats à des présidentielles sur des terres de longue tradition démocratiques dans la vieille Europe… immanquablement, c’est un autre blond comme les blés qui s’invite en sinistre mémoire, cet Anders Breivik qui faucha 70 jeunes travaillistes norvégiens l’été 2011.

Livre qui claque, sonne, clignote ; livre donc tout sauf silencieux, que ce « Blond comme les blés » à l’apparence austère, de l’excellent Sjón, qu’il a situé chez lui, en Islande, mais qu’il nous donne comme modèle aisément transposable.

Le titre et la photo de couverture – du net, du propre sur soi, du socialement intégré, du bonhomme comme tout un chacun – nous tirent avant même de le découvrir vers le contenu du livre. « Blond comme les blés », un équivalent « aryen bien déterminé », partant pour un « fascisme Ikéa » comme disent nos amis suédois.

Le principe choisi par Sjón est celui d’une enquête policière autour de la mort rien moins que naturelle du jeune héros s’apprêtant à rejoindre un « congrès » à Londres des mouvements d’extrême droite européens ; une internationale à leur façon. Autant dire, enquête de personnalité, depuis l’enfance, recherche de documents, journaux, lettres, fréquentations, influences. Ceux, du coup, qui s’attendraient à des pages largement descriptives et littéraires à souhait seront déçus ; c’est un sobre et sec rapport de police, dont il faut se nourrir ici ; 100 pages, serrées et denses, impeccablement documentées. Un café fort et sombre que ce livre implacable qui pourrait nuire à notre sommeil.

On pourrait légitimement penser qu’on va rencontrer l’« enfance d’un chef », son adolescence débouchant sur les transgressions hurlantes de manifs en réunions clandestines. On baignerait donc dans un terreau connu : maltraitances et violences de l’enfance, frustrations multiples, sexualité heurtée ou contrariée ? bref, du connu dans ces genèses des mouvements de la haine en marche. Ce en quoi on aurait tort, on oublierait trop vite le côté besogneux et industriel de l’aventure nazie de 33/45.

Situé dans les années d’immédiate après-guerre – années 50 –, le récit alterne des portraits d’enfance et adolescence, globalement calmes et comme tout un chacun, de Gunnar Kampen, avec des lettres et autres documents qu’il écrit, envoie ou reçoit, lorsque jeune adulte il crée son entreprise fasciste grand teint. La façon dont est rapporté cet itinéraire écourté – il meurt à 24 ans – use d’une écriture économe, avec peu de dialogues, pour autant extrêmement précise. On raconte la chose de l’extérieur, sans aucune intrusion visible dans le « moi » intime du héros. Sjón, on suppose, est celui qui regarde et nous invite à ses côtés. Il ne souligne rien, il dit, mi-froidement, mi-platement, et c’est à nous, crayon mental au bout de l’œil, de relever tout (et de fait, il y en a beaucoup) ce qui donne sens à l’engagement de Gunnar.

Côté enfance, de petits signaux parsemés dont le soin de l’analyse est laissé au lecteur ; grand-père violent, martinet dans le paysage, bagarres entre père et grand-père. Beaucoup de silence et pas mal de choses sous le tapis, mais – une mouche enfermée dans une boîte d’allumettes, mise à part – une enfance, bon an, mal an, comme tant d’autres. Peu d’échos de la guerre encore bruissante ; un oncle collaborateur en prison en Norvège, toutefois, fascine le garçon. Le père, cependant, est socialiste et le gamin, distribuant le journal du parti est malmené dans une manifestation pour ou contre l’Otan qui tourne mal.

« Je suis un jeune homme travailleur qui se passionne pour l’histoire de l’humanité et celle de ma nation. Je me fortifie par la pratique du cyclisme et de la natation ». Gunnar, propre sur lui, et accordé à ces pays d’anciens Vikings, écrit sobrement les valeurs qu’il veut soutenir : « Le monde se trouve à un carrefour… c’est le prélude à la fin de notre civilisation si nous n’intervenons pas… Signes décelables par le désir de l’homme noir de se débarrasser de ce que l’Europe lui a apporté… par l’exaltation de l’universel au détriment des valeurs nationales ». Le mouvement qu’il crée dans la clandestinité se nomme « De la souveraineté plénière », par crainte d’être démasqué, et en vie souterraine ; les mots sont crus et le froid dans le dos est assuré : « nous entendons défendre le droit d’aider les aryens à préserver leur culture… le socialisme est une étiquette que nous fuyons comme la peste… les exagérations concernant les camps d’extermination… ». Une liste des Juifs (nommés systématiquement youpins) les plus éminents de Reykjavik, datant de la guerre, lui est proposée ; après un temps de recul – quelques tiraillements dans le Mouvement – Gunnar, employé de banque insoupçonnable (il a accès aux registres de population) accepte de l’actualiser « pour tous les Juifs de plus de 16 ans ». Le préfet Papon, lorsqu’il bâtissait « ses trains » devait avoir cette posture lisse, administrative…

Une branche du Mouvement est prévue pour les jeunes ; l’objectif est posé : « luttez contre l’internationale communiste et le sionisme mondial qui menacent notre culture blanche ».

Et puis, placée au milieu du reste, comme on oublierait un marque-page, comme par hasard, Sjón glisse une lettre à « ma chère maman… le voyage s’est bien passé, il y a ici tant de choses à voir et à visiter… ce n’est pas étonnant que de grands hommes de l’Histoire soient venus là pour s’aiguiser l’esprit. Ni que l’aigle y est bâti son nid », 1957, Berchtesgaden. Tout le livre est là : mélange entre la banalité du familial sans danger, le dire entre les mots d’une vie comme tout le monde, mais dissimulée, à la transgression masquée, où circule en souterrain, tout le mal que peut charrier ce monde. Du grand art à l’efficacité autant précieuse que redoutable, que nous offre Sjón !


Martine L Petauton


Sjón, écrivain islandais né en 1962 ; romancier, poète, a reçu en 2005 le Prix littéraire du Conseil Nordique ; son œuvre est publiée dans 30 langues.


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A propos du rédacteur

Martine L. Petauton

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Rédactrice

 

Professeure d'histoire-géographie

Auteure de publications régionales (Corrèze/Limousin)