Bleu corbeau, Adriana Lisboa
Bleu corbeau, traduit du portugais (Brésil) par Béatrice de Chavagnac, 19 septembre 2013, 222 pages, 18 €
Ecrivain(s): Adriana Lisboa Edition: MétailiéA la recherche de son identité
Les éditions Métailié offrent aux lecteurs une occasion de (re)découvrir un auteur de talent, Adriana Lisboa. En effet, avec Bleu corbeau, elle nous entraîne dans les pérégrinations d’une petite fille orpheline, Evangelina, qui à la mort de sa mère part aux Etats-Unis à la quête de son père biologique.
« Ce n’était pas une aventure. Ce n’était pas des vacances, ni une diversion, ni un passe-temps, ni un changement d’air, je partais aux Etats-Unis pour habiter chez Fernando avec un objectif bien particulier en tête : chercher mon père ».
Mais qui est donc Fernando ? Cet homme au passé sombre et tragique est l’ex-mari de sa mère. Le duo que forme Fernando avec l’enfant permet à l’auteur de mettre face à face deux destins : celui de ce père de circonstance et la petite fille esseulée. Et c’est au contact de cet homme qui la sauve de la solitude qu’elle va s’interroger sur le sens de l’existence hissant ainsi sa réflexion d’enfant à une dimension quasi métaphysique :
« En quarante ans, des gamines appelées Evangelina viennent au monde. Grandissent face à la mer de Copacabana. Ne se méfient de presque rien. N’ont jamais vu d’éclipse. N’ont jamais assisté à un raz-de-marée, ni à un tremblement de terre, ni à un ouragan. Elles ne rêvent jamais d’Amazonies humides où un jour des guérilleros communistes se sont retranchés, mouillés, salis, amourachés, ont tiré, ont été touchés par des tirs, ont été faits prisonniers, ont subi des tortures et, une fois morts, ont été enterrés là, quelque part ».
Fernando est donc cette part oubliée, cette part du passé qui refait surface. Activiste, combattant, il porte en lui les stigmates de l’Histoire. Son mutisme qui mutile sa parole est brisé par la déferlante de la parole de la petite orpheline. Elle s’interroge sur sa relation avec l’Histoire, sa place dans la relation qu’entretenait sa défunte mère avec Fernando et son identité :
« Même si les Brésiliens se sont toujours très clairement positionnés dans cette histoire : halte-là, nous ne sommes pas des immigrants hispano-américains. D’ailleurs, vous n’avez qu’à regarder notre visage, nous sommes bien différents en terme de biotype et nous ne parlons pas espagnol, nous parlons portugais. POR. TU. GAIS. (A l’école, je devais remplir un papier en indiquant mon groupe ethnique. Les options étaient : CAUCASIEN. HISPANO-AMERICAIN. NATIF AMERICAIN. ASIATIQUE. AFRO-AMERICAIN. Et moi, j’étais où dans cette histoire ?) ».
Le lecteur aura compris : au travers les réflexions de la petite fille fondées sur l’observation des contradictions de son monde, c’est l’auteur qui parle. Elle raconte l’Histoire du Brésil pendant les années de dictature. Elle met en exergue les stigmates liés à cette période et qui sont transmis aux jeunes générations prises entre le désir de partir vers un ailleurs et l’envie de comprendre l’Histoire dont elles portent les marques.
Bleu corbeau possède une écriture alerte imitant le flux de la pensée d’Evangelina. Le style oscille entre le réalisme tragique et l’onirisme poétique quasi surréaliste :
« (…) les mollusques de la mer de Copacabana faisaient taire le monde dans leurs coquilles bleu corbeau. Et les corbeaux survolaient la ville de Lakewood, Colorado. Les corbeaux bleu coquillage ».
Victoire Nguyen
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