Billy le menteur, Keith Waterhouse (par Yann Suty)
Billy le menteur (Billy Liar, 1959), janvier 2019, trad. anglais (Angleterre) Jacqueline Le Begnec, 242 pages, 17 €
Ecrivain(s): Keith Waterhouse Edition: Editions du Typhon
Le problème, quand on ment, c’est qu’il faut avoir de la mémoire. Il faut se rappeler à qui on a raconté une histoire à coucher dehors. Par exemple, à qui on a fait croire que sa sœur est à l’hôpital, gravement malade, alors qu’on n’a pas de sœur. Ou bien à qui on a dit que son père était officier de la marine et à qui d’autre qu’il était cordonnier. Les mensonges peuvent embellir la vie. Ils peuvent par exemple servir de munitions pour se faire valoir auprès des jeunes femmes. Mais quand on les additionne, ils peuvent aussi compliquer l’existence et obliger à gérer des situations de plus en plus périlleuses.
Quelques années après la deuxième guerre, dans une petite ville du nord de l’Angleterre. Billy Fisher n’est plus un enfant, mais pas encore tout à fait un adulte. Il a un travail, mais habite encore chez ses parents – et avec sa grand-mère – qui ont toujours le droit de lui interdire de sortir. C’est un peu un « Tanguy » des temps anciens. Billy a des ambitions qui pourraient être qualifiées de mesurées. D’un autre point de vue, on peut dire qu’il prend le temps de vivre.
« Il y avait de longues périodes où ma seule ambition était de laisser fondre dans ma bouche une pastille de menthe jusqu’au bout sans la croquer ». Cependant, il ne veut pas être condamné à vivre toute sa vie dans la même ville et à effectuer toute sa carrière dans l’établissement de pompes funèbres qui l’emploie (près d’un demi-siècle plus tard, d’autres Fisher exerceront le métier de croque-mort dans l’excellente série Six Feet Under. Est-ce un hommage ?).
Pour échapper à ce morne quotidien (sans considérations météorologiques), plusieurs solutions existent. Le mensonge, donc, mais aussi s’échapper dans l’imaginaire, avec ses « réflexions », un monde de « spéculations obsessionnelles », sur les conséquences d’une maladie, d’un écart de conduite ou la façon de trouver des solutions à un problème. Là, Billy peut régner en maître. La contrepartie, c’est qu’il se retrouve seul face à lui-même. Ajoutez-y des actions assez discutables. Il n’a ainsi pas expédié les calendriers annuels de son employeur pour mettre la main sur les frais d’envoi. Et sa chambre de se retrouver bien encombrée… Autre fait marquant de son comportement : Billy a pris l’habitude d’imiter la façon de parler de ses interlocuteurs. Ce que certains peuvent mal prendre.
De temps à autre, Billy effectue un spectacle dans un pub où il raconte des blagues. D’ailleurs, il a écrit à un comique anglais, Danny Boon (précision : il ne s’agit pas d’un hommage au comique français car le livre a été publié en 1959), et celui-ci lui a répondu. La lettre pourrait être interprétée comme une invitation à le rejoindre à Londres pour travailler dans son équipe. Quand on a envie de croire à quelque chose, on y met du sien, beaucoup de sien… Billy l’a décidé, il va partir à Londres pour alimenter le comique en blagues. Ses amis, eux, n’y croient pas. De toute façon, il leur raconte tellement de bobards qu’ils sont persuadés qu’il ne partira jamais à Londres comme il le clame. Sa mère voit l’initiative d’un mauvais œil : « Tu ne peux pas sauter d’une chose à une autre et devenir ce qui te passe par la tête ». Les parents ont bien changé depuis les années 50. Et Billy devra aussi annoncer la nouvelle à ses trois fiancées, dont l’une qu’il surnomme « La Charmeuse », qu’il trouve totalement asexuée et déteste tout en elle. Billy est un être complexe. Il est tour à tour attendrissant, barge, émouvant, énervant. Il devient vite un bon copain. La pléiade de seconds rôles est à l’avenant. Ils sont bien campés et vont bien au-delà des apparences.
Le livre dure le temps d’une journée. Une journée qui pourra changer toute une vie. Chaque geste, chaque décision de Billy semble le mener vers son implacable destin. Il y a un côté roman d’apprentissage. Un jeune homme est en train d’entrer dans l’âge adulte. Il se retrouve à un moment charnière où il peut faire tout basculer et « devenir ce qui lui passe par la tête ». Mais pour cela, il lui faut affronter son quotidien, ses parents, ses employeurs, ses collègues, ses amis, ses fiancées, et s’émanciper. Y parviendra-t-il ? Mais, au fond, en a-t-il envie ?
Billy le menteur est un livre à la fois tendre et cruel, avec un côté doux-amer (très anglais ?). Derrière les blagues et l’humour, les fêlures sont omniprésentes. L’humour n’est qu’un moyen de se protéger et de ne pas avoir à affronter ses souffrances ou à les tenir à distance le plus longtemps possible. Jusqu’à ce qu’il devienne nécessaire d’y faire face.
Billy le menteur a été adapté au cinéma par John Schlesinger, le réalisateur de Macadam Cow-boy, avec Julie Christie et Tom Courtenay.
Yann Suty
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