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Bien-être (Wellness), Nathan Hill (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy 10.10.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Gallimard

Bien-être (Wellness), Nathan Hill, Gallimard, août 2024, trad. américain, Nathalie Bru, 668 pages, 26 €

Bien-être (Wellness), Nathan Hill (par Léon-Marc Levy)

 

Il fut un temps – récent – où parler de « roman américain » envoyait aussitôt dans les vents et marées de la littérature bouillonnante, aventureuse, spectaculaire, détonante. Si on dit de Bien-être que c’est LE roman américain du moment, on peut alors dire que l’Amérique a bien changé et sa littérature avec : écriture atone, pour une histoire atone, dans un Chicago atone.

Nathan Hill maîtrise parfaitement ce choix de linéarité narrative, de platitude apparente. Le lecteur français ne peut éviter de penser à Michel Houellebecq : on retrouve ici la même sorte d’insignifiance. Chaque événement – jusqu’au plus petit – est décortiqué avec soin, dans une sorte de souci maniaque du détail : les ingrédients d’un plat, les mimiques des enfants quand ils parlent, les particularités d’un vêtement. La vie d’un couple, puis d’une famille dans une linéarité forcenée, obsessionnelle. Un glissement progressif d’une existence vers la quête éperdue d’un « bien-être » qui aura perdu tout sens commun.

L’écrin de l’histoire ressemble plus à un tombeau qu’à un étui à bijoux : Chicago. Ville sombre, poisseuse, d’une tristesse infinie sous sa pluie, son froid, sa neige quasi incessants. Blocs de béton resserrés, gris, qui figurent une sorte de cimetière en gratte-ciel. L’accession du couple à plus haut niveau social est signée d’une accession à la propriété d’un appartement situé plus haut, avec plus de lumière promise.

Tout le roman est construit autour de cette idée de « progrès » : social, physique, psychologique, aspirant au bien-être final. Et Hill détruit cette illusion en menant les protagonistes vers des horizons de plus en plus bouchés, de plus en plus sinistres. Le progrès américain aujourd’hui est une marche funèbre, jalonnée d’objets – vestimentaires, technologiques, mobiliers – plus inutiles les uns que les autres. Jusqu’à ces objets hi-tech qui viennent peu à peu scander l’ennui itératif du quotidien, dans une routine mécanisée.

« Le Système lui recommandait des repas quotidiens optimaux, l’heure optimale à laquelle les déguster, et la quantité d’eau optimale pour les accompagner. Il lui indiquait aussi son heure de coucher optimale et son heure de réveil optimale. Il lui recommandait des pistes d’optimisation de son mariage. Une partie du Système était dédiée à l’amélioration de ce que l’application appelait son Score amoureux, qui passait par exemple par la “ludification” des rituels, commune dans les relations satisfaisantes. Jack récoltait des points, des badges et autres récompenses semblables lorsqu’il achevait certaines tâches : les Actes de service regroupaient les tâches ménagères – sortir la poubelle, faire la vaisselle, nettoyer la salle de bains – en gros, la catégorie des corvées d’entretien de la maison : les Gestes romantiques étaient les moments volés, les “je pense à toi” qui s’exprimaient au fil d’une journée par ailleurs normale – un SMS sexy, un mot d’amour caché dans un sac à main ou un attaché-case, un “je t’aime” articulé discrètement depuis l’autre bout de la pièce ».

Gangrène routinière qui atteint même les éléments du langage. On pense à Roland Barthes bien sûr et à ses Fragments d’un discours amoureux : la communication du couple se réduit peu à peu à des holophrases, mécaniques, détachées de tout signifiant.

Nathan Hill se fait chroniqueur de la vie moderne, vaste cimetière des sentiments, des élans, des colères, de la vie enfin. Ce roman est métaphore de l’Amérique ; il n’a rien de dystopique c’est aujourd’hui !

Alors, au-delà du roman américain, Bien-être est le roman terrifiant de notre temps d’Occident.

 

Léon-Marc Levy



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A propos du rédacteur

Léon-Marc Levy

 

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Directeur du Magazine

Agrégé de Lettres Modernes

Maître en philosophie

Auteur de "USA 1" aux éditions de Londres

Domaines : anglo-saxon, italien, israélien

Genres : romans, nouvelles, essais

Maisons d’édition préférées : La Pléiade Gallimard / Folio Gallimard / Le Livre de poche / Zulma / Points / Actes Sud /