Beau Repaire, Jacques Higelin reçoit. Livre-CD, collectif
Beau Repaire, Sony Music Entertainement, distribué par Actes Sud, novembre 2013, 151 pages, 25 €
Edition: Actes Sud
L’idée de départ était simple : donner carte blanche à une dizaine d’auteurs pour illustrer, chacun à sa manière, avec une totale liberté dans le choix et dans la forme, l’un des douze morceaux du dernier album de Jacques Higelin, Beau Repaire, dans un livre-CD.
Pour ce faire, Jacques Higelin reçoit dans son antre musical et littéraire Olivier Adam, Tonito Benacquista, Jacques A. Bertrand, Didier Daeninckx, Agnès Desarthe, Arthur Dreyfus, Brigitte Fontaine, Jérôme Garcin, Brigitte Giraud, Valentine Goby, François Morel, Atiq Rahimi, Sylvain Tesson et Nadine Trintignant. Quatorze auteurs pour douze chansons, inutile de chercher l’erreur… la liberté préside à ce recueil ; c’est précisé dès l’introduction. Liberté, amitié, complicité, admiration qui lient et soudent chacun d’entre eux, toutes générations et toutes sensibilités confondues, au grand Jacques.
Le résultat est, comme l’indique Clémentine Deroudille, journaliste et productrice à l’origine avec Nicolas Renault du projet, « un kaléidoscope littéraire foisonnant et démultiplié ».
Feuilletons ensemble les pages de cet ouvrage.
La balade au bord de l’eau a inspiré à l’écrivain et grand voyageur Sylvain Tesson, la nouvelle Une pièce montée fourrée d’un cadavre, qui nous emmène en Inde, aux abords du Taj Mahal. Texte exquis, mélange de carnet de voyage, de sagesse indoue et d’humour noir. À Délire d’alarme, Brigitte Fontaine, auteur-compositeur-interprète, la sœur de cœur, répond dans son style inimitable par une ode tendre, émouvante, ponctuée de souvenirs intimes pudiquement évoqués. Tu m’as manqué(e) est le texte écho éponyme du troisième morceau du CD. La romancière et nouvelliste, Brigitte Giraud, y conte avec sensibilité et finesse, une histoire d’amour qui n’aura pas lieu. Seul, un morceau si proche de l’univers poétique de Charles Trenet donne l’occasion à Agnès Desarthe, traductrice et écrivain éclectique, de brosser dans Les beaux jours, la journée sur les routes d’un représentant en centrales vapeur. Portrait vivant et nostalgique, moments volés au quotidien d’un homme coincé entre ses rêves et la réalité. La chanson Rendez-vous en gare d’Angoulême est illustrée par deux textes. Dans le premier, Gare au poète, l’écrivain et scénariste Tonino Benacquista se plaît à digresser sur la manière dont les gares inspirent les poètes, là où le commun des mortels ne voit que banalité. Dans le second,Cher Monsieur Jacques Higelin, l’acteur, chanteur, écrivain, François Morel, s’adresse par lettre à son ami, lettre signée Jackie Gelin. Une missive bourrée d’humour où il lui reproche de s’être emparé d’un thème, la gare d’Angoulême, que lui-même s’apprêtait à mettre en chanson. Duo d’anges heureux, la spirituelle chanson interprétée par Jacques Higelin et Sandrine Bonnaire, nous donne la chance d’apprécier la courte nouvelle du prolifique romancier Didier Daeninckx, Le train m’égare. Cinquante ans de liaison dangereuse avec… impossible de le préciser sans déflorer la superbe chute de ce texte qui pourrait bien être autobiographique. Être là, être en vie est une chanson qui rend hommage à Barbara. Le journaliste et écrivain Jérôme Garcin se souvient alors dans Un été près de la mer de sa rencontre en 1990, lors du festival de Ramatuelle, avec « le ludion, le feu follet » Jacques Higelin, puis, quelques jours plus tard, avec Barbara. Un témoignage amical, mais aussi et surtout, une très belle manière d’évoquer « tout ce qui unissait le chanteur de midi et la chanteuse de minuit ». La très émouvante chanson Pour une fois n’a pas manqué d’inspirer à la cinéaste et écrivain Nadine Trintignant un texte d’une extrême délicatesse, La première larme, où l’amour apprend à une jeune fille à accepter et à exprimer ses sentiments et ses émotions. La guitare sèche et le blues de Hey man ont donné des ailes aux plumes d’Atiq Rahimi et d’Olivier Adam. Reprenant le même titre pour sa nouvelle, le réalisateur et romancier franco-afghan Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008, nous emmène dans un bar au fin fond du désert en Arizona. Un homme en deuil de son fils, mort au combat, une jeune serveuse venue d’ailleurs… Une stupéfiante rencontre avec la vie, avec l’amour, avec la mort. Dans Brother, l’écrivain Olivier Adam, s’attache au sort de deux frères que tout semble opposer : le responsable, l’irresponsable, le rationnel, l’irrationnel, le bosseur, le branleur… mais deux frères avec de la tendresse à revendre en dépit des différences et des incompréhensions. La joie de vivre, le dixième morceau de l’album, propulse la nouvelle Stella de l’écrivain Valentine Goby aux Philippines. Manille, Makati, ses bidonvilles et cette colline plus haute que les immeubles, une montagne de déchets… et Stella, douze ans avec ses rêves de liberté. Grâce à Tomorrow morning, le titre délire de l’album, le clin d’œil aux Beatles, Jacques A. Bertrand, écrivain, chroniqueur et auteur d’Higelin Higelin, paru en 1990, s’empare du ton humoristique de la chanson pour nous faire partager dans Punaise une anecdote poétiquement drôle de celui dont il qualifie la vie de « Palais Idéal du facteur Cheval habité par l’enchanteur Merlin ». Enfin, Château de sable, dernière chanson du CD aux allures de conte, et dernier texte du recueil, a inspiré au jeune romancier Arthur Dreyfus la narration d’une histoire qu’il tiendrait de son grand-père, où « le merveilleux » tisse des liens indestructibles entre les générations.
Quatorze petits moments, souvent enchanteurs, qui viennent saluer l’artiste et tendre la main à l’éternel poète, au trublion inspiré et talentueux de la chanson française, Monsieur Jacques Higelin.
Catherine Dutigny/Elsa
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