Battre l’immense, Béatrice Libert (par Patrick Devaux)
Battre l’immense, Revue Nunc, éditions De Corlevour, 2018, 74 pages, 15 €
Ecrivain(s): Béatrice Libert
Chez Béatrice Libert, le poème brasse le quotidien ; le mot est dans chaque geste, dans chaque attente.
Vivant en poésie, presque en « Petit Poucet », elle (je) « pose ses galets sur la page/ Et trace en silence la Voie prodigieuse/ De l’émerveillement ».
En effet, le poème et le jour ne font qu’un dans sa belle assimilation à ouvrir un visage ou éclairer une nuit (« Eteignez la lumière/ Ouvrez votre visage/ Laissez-les éclairer votre nuit/ »).
En recherche de cette communication ultime pensée en « lettre d’amour », dans « une portion étrange et vide/ Décalée du réel/ A l’intervention du fracas », la poète, funambule en mots de Vie, sait que « même les écureuils/ Connaissent le vertige ».
C’est que, Béatrice, équilibriste en mots simples, gère le poème de main de maître avec une sorte de fracas qui l’habite, mais sans état d’urgence. Toute appellation serait-elle donc vaine puisque « l’arbre n’est pas l’arbre » et que « le (ce) poème/ N’est pas un poème/ ».
La ponctuation est absente des mots, sauf quand l’auteur s’interroge. Cela fait partie de la preuve de son questionnement à vouloir faire habiter le poème chez elle, comme on le dirait d’une personne vivant sous le même toit, quitte à « empoigner (empoignerais-tu) / Le couteau du doute/ Pour en trancher/ La juteuse immatérialité/(?) ».
Avec des mots choisis, mais dans la simplicité, la poète use de raccourcis à évoquer, à quelques mots d’intervalle à peine, à la fois et dans la même unité de temps, l’arbre, la cire des abeilles ou les civilisations perdues et ce, dans toute absence de chaos.
Il y a alternances d’idées comme si plusieurs cerveaux fonctionnaient en même temps ensemble en inversant parfois les rôles entre eux, avec des images exaltant la cause littéraire tel ce « jouet privé d’enfance », image sublime.
Parfois « L’ombre brûle/ Réclame à la lumière/ Une bûche pour flamber ». C’est qu’en effet, il n’est pas possible de « Battre l’immense » sans elle !
Y aurait-il chez Béatrice, la poète, fusion de l’ange qui l’habite avec elle-même à l’instar de ce qu’elle annonce avec l’érection des temples dans une nature, si pas entièrement redevenue sauvage, entièrement présente même si « la chenille n’est papillon/ Que dans le vol d’une hypothèse ».
Avec des phrases en italique en début de poème en appelant à la compréhension de l’être aimé observé lui-même, ombre portée, dans son état de poète, en se servant, là, de ses mots à lui, la poète ameute sa complicité à mieux le rejoindre dans son mystère, « Afin d’aimer ce qui les sauve (nous) sauve/ Et de sauver ce qu’ils aiment (Et de sauver ce que nous Aimons) », avec peut-être cette « mésange/ Qui lit l’envers de leur message/Lorsque descend sur le rivage/ Le pas de l’ange ».
Avec les mots de Béatrice Libert, le lecteur, la lectrice, eux aussi, sentiront leur cœur « Battre l’immense.
Patrick Devaux
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