Baiser féroce, Roberto Saviano (par Philippe Leuckx)
Baiser féroce, trad. italien, Vincent Raynaud, 400 pages, 22 €
Ecrivain(s): Roberto Saviano
En sept livres, cinq essais journalistiques et deux romans, Saviano s’est imposé comme l’écrivain napolitain capable de dénoncer toutes les roueries et horreurs de la camorra. Le jeune auteur de quarante-et-un ans, aujourd’hui sous garde policière, éclaire le parcours d’adolescents et de jeunes adultes qui ont entrepris de remplacer sur le terrain les vieux briscards, avec une détermination qui fait de ces antihéros des personnages de haute lutte, lancés tête baissée, armes au poing, dans le lacis des rues de Naples pour accomplir le pire.
On sait l’auteur au fait de toutes les manœuvres de l’entreprise criminelle. On sait moins que des « enfants » ont pris hélas le relais. Le nouveau roman de Saviano se trouve au cœur de la tourmente.
Maharaja (Nicolas) et sa troupe écument Naples, se jettent à cent à l’heure au travers de la ville pour donner la juste mesure de leur talent de pilleurs et de criminels. Les bandes rivales ambitionnent d’occuper tous les terrains, et le baby-gang doit sans cesse faire ou défaire des alliances pour ne pas perdre le monopole de la coke au centre de la ville. Les aventures trépidantes de la « paranza » prête à tout pour se maintenir au pouvoir trouvent leurs lieux d’action à Naples même, entre le port d’attache du groupe, resté secret, et toutes les poursuites affolantes dans les rues sombres de Naples .
Depuis Piranhas, certains acteurs ont changé de camp, et alors les représailles sont terribles : celui qui trahit ne mérite que la pire des morts. D’un camp à l’autre, les mêmes usages enlèvent les vies, terrorisent, violentent. « Mordu d’une rage sourde, Maharaja n’en finit pas d’asseoir ses ambitions, de se mesurer aux grands » qu’il compte remplacer. La naïveté prive toutefois le personnage d’une vision qui ne l’oriente pas vers le mur de la défaite.
Le roman se termine en une pure tragédie, qu’on n’a pas vu venir. Les vieux ne daignent pas si facilement laisser place à la jeune génération, et les pièges mis en place fonctionnent à plein régime. L’épilogue est saisissant de naturalisme et d’horreur. On reste muet d’étonnement devant la maestria d’une narration virevoltante qui a su mener l’intrigue autour d’une dizaine de personnages, tous plus vrais les uns que les autres, horribles ou attachants.
La condamnation des groupes mafieux est éclairante, et c’est avec un sentiment de fin du monde que l’on accompagne les victimes toutes désignées. Ne restent que leur beauté, leur désolante violence, leur immense naïveté de jeunes livrés à l’autel des plus atroces, des plus véreux.
Un grand roman sur le monde contemporain.
Philippe Leuckx
Roberto Saviano, né en 1979, est l’écrivain italien de sept livres : découvert grâce à Gomorra, il est aussi l’auteur de Extra pure, et Piranhas.
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