Aveu (par Marianne Braux)
Le texte que vous lisez là, ce texte n’est pas de moi. Il est de mon premier amour, et de ma mère. Il est d’Edouard Glissant, de Roland Barthes et de Lydie Salvayre. Il est de mon amant, et de mes professeurs. De mes étudiants aussi, et de leurs erreurs. Il est de ceux que j’ai lus, puis oubliés. De ceux que j’adule sans jamais les nommer. Il est de mon père et de ses joyeux cafards. Il est de mes nièces et de leurs histoires. De mes sœurs qui me l’ont dicté sans s’en apercevoir. Non, ce texte n’est pas de moi. Il est d’un Illustre Inconnu dépouillé, du Christ même, décrucifié. Bref, ce texte n’est qu’un aveu de plagiat éhonté ! D’ailleurs ce texte n’en est pas vraiment un. C’est un article de journal que j’ai lu hier, une carte postale de ma mère. Ce texte est un vers que nous nous sommes écrit quand nous croyions encore nous dire oui. C’est un journal intime jamais commencé, une lettre d’amour qu’il faudra brûler. C’est un dictionnaire, un mot entendu hier pour la première fois. Une chanson comme l’on en chantait autrefois. Ce texte est cette phrase que tu prononças avec colère. Ce texte est aussi une prière. Un jeu de mots sans esprit, une drôle de conversation entre deux vieilles amies.
Ce texte, qui plus est, n’est pas écrit dans la langue que vous croyez. Il est, croyez-moi, écrit en langues étrangères. En anglais, en kaurna, en espagnol. Et dans un allemand débutant. Non je ne suis pas folle : ce texte est écrit dans tous les accents du monde. Il est une traduction à la fois légère et profonde. Un tout petit bout du grand tout tributaire. Une goutte, un grain de sable, formés par un désir élémentaire. Un désir issu de l’insu, comme ce texte qui est à vous désormais, si vous l’avez lu.
Qu’elle est belle la langue, lorsqu’elle bat seule la mesure. Quelle joie de vivre dans le langage pur et dur ! Écoutez : une parole, fugace, se propage. Bonne ou mauvaise, FAITES-LUI FACE.
Marianne Braux
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