Aux amours, Loïc Demey (par Philippe Leuckx)
Aux amours, Loïc Demey, mars 2021, 112 pages, 12 €
Edition: Buchet-Chastel
Très belle rêverie amoureuse, très stylée et inventive, de Loïc Demey : Aux amours s’immisce dans les plis d’une conscience amoureuse qui nomme les lieux, imagine les scènes et les frôlements. Le narrateur enamouré dans une seule lente et longue phrase pressent les sentiments, les offre au lecteur. Sans complaisance, il dessine les pourtours du désir.
Combien de livres n’ont-ils pas cerné les ombres du désir ? Combien n’ont-ils pas offert au lecteur les moyens faciles d’un sentiment neuf, inaccompli ?
Loïc Demey, jeune poète de quarante-quatre ans, nous embarque dans une folle aventure : le temps d’une seule phrase, imaginer, vivre, sentir une passion pour une personne attendue, qui ne vient pas, une Lise adorée, rencontrée en rêverie profonde.
La phrase longue, ponctuée de surprises, de reprises, d’évolutions, de divagations, décrit, par strates, coupes, divers moments d’une rêverie, sous divers angles, avec les mots supposés, les images, les reliefs du cœur, du corps et de l’âme, avec les conditionnels attendus, les présents qui puissent offrir matière au sentiment. Cette longue lettre à l’aimée, cette lente pensée amoureuse, reprend tous les motifs, toutes les attentes, tout le grain d’un sentiment qui ne cesse d’explorer sa propre matière. Et c’est l’intérêt du livre de nous entortiller dans ce flux de descriptions, de sensations vives, émues, au contact des corps désirant et désiré.
Cette missive, hypothétique, s’adresse autant à l’adorée qu’aux lectrices potentielles ; elle énonce les plis et replis d’un cœur désirant, apte à tout entreprendre pour réaliser sa mission amoureuse, et même en passer par les pires délires ou les plus pauvres démentis.
Structuré comme un flux narratif débordant des phrases, le texte fait appel à d’autres couches, comme s’il fallait dans cette histoire trouver réplique, désir jumeau, dans une autre histoire, celle d’Otto Sfortunato (l’infortuné) qui poursuit une « Ombra », une ombre, en plein dix-huitième siècle, dans une ville italienne. L’auteur de la lettre et cet Otto sont peut-être reflets et frères d’âme, poursuivant le même but. Demey joue ainsi d’un texte coulé dans un autre, miroir de nos manquements, de l’absence, du désir inapprochable ou impossible.
La langue littéraire, de toute beauté, ordonne autour du vous à laquelle elle s’adresse les mailles d’une prose inventive, très colorée, sensible aux étoffes, aux matières, aux motifs :
« … c’était elle, il ne s’était pas trompé, magnifique et rayonnante, la chevelure exubérante, bouclée, un visage harmonieux fait de traits délicats, c’était elle et pourtant tout l’amour qu’il avait accumulé venait subitement de se dissiper, c’était elle et pour elle il ne ressentait rien. Otto Sfortunato era innamorato di un’ombra… » (p.64).
Le livre bien sûr évoque les idylles improbables, les amours rompues, insatisfaites, les grandes histoires qui se terminent par un déni, la mort, la violence. Le thème ainsi classique donne lieu ici à des variations stylistiques inventives, et le prosateur s’en donne à cœur joie pour éveiller les mille et une suggestions de son cœur aimant.
Une très belle découverte.
Philippe Leuckx
Loïc Demey, né en 1977, est l’auteur de quatre livres, dont trois recueils de poèmes tous publiés chez Cheyne éditeur : Je, d’un accident ou d’amour (2014), D’un cœur léger (2017), La leçon de sourire (2020). Un talent prometteur.
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