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Autre matin, suivi de Le monde du singulier, Gérard Pfister (par Marie-Hélène Prouteau)

Ecrit par Marie-Hélène Prouteau 11.06.24 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie

Autre matin, suivi de Le monde du singulier, Gérard Pfister, éditions Le Silence qui roule, mars 2024, 96 pages, 15 €

Ecrivain(s): Gérard Pfister

Autre matin, suivi de Le monde du singulier, Gérard Pfister (par Marie-Hélène Prouteau)

 

Gérard Pfister est à la fois éditeur des éditions Arfuyen et traducteur. Il est aussi l’auteur d’une œuvre poétique importante, publiée, pour l’essentiel, aux éditions Arfuyen mais également aux éditions Lieux-dits, Lettres vives. Ce recueil écrit entre 1990 et 1993 au Lac Noir dans les Vosges est publié par les éditions Le Silence qui roule créées et animées par Marie Alloy, qui est peintre et graveuse. C’est elle qui a réalisé la peinture de couverture, « Reverdir », en parfaite résonance avec le titre qui fait sens vers une sorte de promesse.

Autre matin s’ouvre sur un exergue citant L’Âge de la lune du poète Leonardo Sinisgalli que les éditions Arfuyen ont été les premières à publier. Le recueil se présente en cinq parties, composées sous la forme régulière de distiques brefs. L’écriture poétique de Gérard Pfister emporte le lecteur sur le chemin d’une aube spirituelle, arrimée à une vision de la nature débarrassée de toute contingence. Une aube d’avril, singulière par son indétermination :

l’aube toujours ivre

d’un rêve de lumière

 

Ici s’ouvre un chemin sensible, dans les confins de soi, dans un certain absentement du monde. Dès les premières pages, en effet, les multiples expressions négatives questionnent : « plus rien que nos vies », « qui n’ont jamais », « sans qu’aucun », « qu’on ne dise rien d’autre ». Comment saisir ce rapport qui n’accède au sens que négativement ? Peut-être faut-il comprendre le motif de la mort, répété dans plusieurs vers, et jusqu’à l’oxymore, comme un moment premier, essentiel. Celui d’un nécessaire dénuement, d’une dépossession de toute chose – « la vie ne possède rien », écrit Gérard Pfister.

 

Comment pourrais-tu vivre

ailleurs qu’en cette mort

vivante, invaincue

en cette vie d’après

 

Comme s’il fallait passer par une mort à soi, symbolique, pour laisser advenir cet « autre matin ».

Écriture du dénuement. Écriture de l’effacement. Écriture du dépassement. Derrière chaque mot, il y a un blanc, un éclat de silence, celui de l’être-poète, le méditatif profond, dans la solitude de son promenoir naturel. Gérard Pfister joue de la présence subtilement dédoublée du Je et du Tu, de l’alternance entre le « silence dévasté du cœur » et « le rêve de lumière ». Il accueille le retour cyclique du temps, antique thème de la pensée, en accord avec cette nature devant lequel, humblement, le poète s’incline :

 

Il fallait que tout revienne

au premier jour

d’un même élan

que tout soit réuni

la descente de l’eau

l’éclosion de la sève

 

Dans un autre poème, la présence du « cordonnier de Görlitz », Jakob Boehme, nous emmène sur les pas d’un de ces grands mystiques rhénans que connaît bien Gérard Pfister pour l’avoir traduit et étudié. Elle nous donne les clés d’une approche. Car le dialogue si caractéristique de l’obscurité et de la lumière dans le paysage mental déploie une atmosphère tendant à l’abstraction, à l’idéalité, poétique et mystique à la fois :

 

Soudain

le sentier de la forêt

dans les limbes de la conscience

la présence

resurgie

 

L’univers s’organise autour de quelques éléments présentés de façon épurée, la fleur de gentiane, l’or des érables, la forêt, la neige sur les branches de pin. Présences idéales, comme autant de signes qui disent le sens, fondateur, malgré toutes les blessures. Le monde du singulier reprend et dépasse la pensée de Heidegger sur la technique et sur : « qu’est-ce que la chose ? ». La chose n’est pas un simple objet inerte, elle fait venir un monde : « chaque chose est une lumière, chaque chose une nuit », écrit Gérard Pfister.

« La petite fille est morte », « le visage de notre père, de notre nuit/le secret que toujours nous voulons savoir ». Telles sont les présences humaines du recueil, rares, touchantes et porteuses d’une aura infiniment mystérieuse.

La voix poétique s’incarne ainsi en sourdine, dans l’oblique. Ce qui se joue ici, c’est une sorte de grand entretien, débouchant, à la fin du recueil, sur la connivence secrète et la joie qui n’est pas sans une coloration religieuse :

 

et tu ne sais

d’où cette joie te vient

 

Gérard Pfister nous amène ainsi à lire son recueil, Autre matin, comme le « passage » d’un état à un autre, de différents états de conscience traversés, depuis le dénuement jusqu’à la sublimation finale. C’est ce regard de haute exigence, posé sur soi-même qui nourrit la beauté du recueil.

 

Marie-Hélène Prouteau



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A propos de l'écrivain

Gérard Pfister

 

Gérard Pfister (né à Paris, le 7 avril 1951), est un poète et écrivain français.

 

A propos du rédacteur

Marie-Hélène Prouteau

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Agrégée de lettres (études classes préparatoires au Lycée Fénelon et La Sorbonne), titulaire d’un DEA de littérature contemporaine, Marie-Hélène Prouteau est écrivaine, conférencière et critique littéraire. A enseigné 20 ans les lettres-philosophie en classes préparatoires. Auteure d’études littéraires (Ellipses et SIEY), de préfaces et d’une douzaine de livres. Derniers ouvrages, une biographie de la sœur du peintre Emile Bernard, Madeleine Bernard la Songeuse de l’invisible (Hermann, 2021) ; et 12 poètes contemporaines de Bretagne (éditions Sauvages). Elle collabore à diverses revues : EuropeTerres de femmesÀ la littératureTerre à cielRecours au poèmeTraverséesSpered GouezPlace de la Sorbonne… Livres à paraître, en juin 2024, réédition de La Petite Plage, suivi de Brestrivage de l’ailleurs, préfacé par Mona Ozouf. Et en septembre 2024, Paul Celan, Sauver la clarté, éditions Unicité.