Autour de moi, Manuel Candré (par Jean-François Mézil)
Autour de moi, 104 pages, 11,90 €
Ecrivain(s): Manuel Candré Edition: Joelle Losfeld
Après avoir lu et aimé Des voix de Manuel Candré, j’ai été intéressé à découvrir ce qu’il avait écrit avant. Ce sont deux courts romans dont le premier, Autour de moi, débute ainsi :
« 04.07.07 – Je me tiens les deux pieds joints en bas de la maison… ».
Immédiatement, on s’interroge : De quoi est fait ce livre ? De notes prises au jour le jour ? De souvenirs égrenés après coup ? Journal ou travail de mémoire ? Nous entrons dans ce texte en intrus, en voyeur.
Des phrases sèches viennent à nous et nous assènent leurs coups de trique : « La gueule rougie par l’alcool à venir. Le surgissement annoncé de la violence. Tout est bien pour l’instant ».
Les souvenirs déboulent un à un. Sans chronologie véritable (normal, le cerveau se moque du temps et ouvre ses tiroirs dans l’ordre qui lui plaît) : « Ma mère s’est finalement décidée à quitter mon père. Là, elle coupe les carottes en morceaux et les enfile dans le robot ».
Souvenirs parfois détaillés. Parfois de simples indications : des notes prises pour mémoire, est-ce alors à nous de compléter la phrase ? Il y a même des histoires à « ne pas raconter » : celle du « pot de chambre » qui « s’est fissuré ». Là aussi, à nous d’inventer.
Séquence après séquence (du 4 juillet 2007 au 9 septembre 2010), l’auteur nous dresse l’inventaire d’une vie désossée dont il exhume, par fragments, le squelette sur lequel il greffe la chair de ses phrases. Séquences cruelles, séquences imprégnées de tendresse, gestes colériques, gestes affectueux, un père violent qui sait aussi pleurer, qui « hoquette, la bouche prise dans un fil de larmes et de salive », un enfant à son tour gagné par la violence : « Si tu recommences, je te tue »… Chacun des personnages a son envers (faut-il vraiment parler de personnages ?).
Un livre attachant où « la tristesse [est] un lac noir reposant sur une colère de boue ».
On comprend, en le lisant, qu’il y a là œuvre d’écrivain. Comme dans Des voix, on trouve en effet un véritable travail d’écriture : prose entichée de poésie (« je regarde les lumières aux halos tremblotants nimber la nuit poudreuse d’un incomparable glacis mandarine ») ; phrases parfois déstructurées ; d’autres restant inachevées (à quoi bon les mener à terme : tout y est dit avant le point final).
Autour de moi… Autour de Manuel… Quelles qu’aient été les confidences, le lecteur demeure à distance. Peut-on faire mieux que de faire le tour de quelqu’un, comme on fait le tour d’une ville interdite, sans véritablement savoir ce qui s’y passe ?
Un livre tout rempli du poids de l’enfance, de la neige des phrases tombant drue sur nous, avec, comme flocons, leurs aveux, leurs secrets, leurs effusions toujours pudiques… Un livre-écho, un livre-motet qui s’interrompt tout en bas de la page 99, sans avoir pour autant de fin avérée : « C’est terminé. Et pour quoi faire ? ».
Jean-François Mézil
Lire deux autres critiques sur le même livre : http://www.lacauselitteraire.fr/autour-de-moi-manuel-candre
http://www.lacauselitteraire.fr/autour-de-moi-manuel-candre-2eme-recension
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