Autobiographie, par Kamel Daoud
Je m’appelle. Quand la nuit tombe, je tombe avec elle. Sinon, le reste de la journée, je suis comme vous. J’ai des ailes rangées en dentelles pour les fêtes et les songeries, des omoplates servant à m’adosser aux grands vides nationaux, des rues plein les jambes et un peu de chevelure pour peupler le monde jusqu’à ses lèvres, en altitude. Généralement, je n’ai pas besoin de noms : les gens qui me connaissent, me connaissent. Et les gens qui ne me connaissent pas, ont autre chose à faire. C’est pour ça que je vais. Et viens. Entre les nains. Mais c’est méchant. Généralement, je ne suis rien qu’assis. Debout, je vois si loin que même mes arrières-arrières-arrières-petits-fils me font déjà signe avec les mains.
Ma mère m’a fait, mais n’arrive pas à me refaire, ni à m’expliquer. En mieux. Ni mon Père. Il me regarde souvent comme une pierre qui lui est tombée sur la tête, qui a glissé entre ses veines et est sorti en coton entre deux gémissements camouflés. Je ne lui ressemble guère : il a l’air de porter un monde à lui tout seul. J’ai l’air d’une cerise qui songe. A un gâteau tellement beau qu’on oubliera de le manger et qu’on lui demandera de raconter une histoire avant de lui montrer le chemin du Botox inépuisable.
J’ai un village autour des épaules. Il me réchauffe quand il fait froid. Le reste du temps, il me sert de prénom. Dans la ville, il me suit comme un léopard sans taches et sans dents. Nous sommes liés par un faux départ. Quand je le lance dans les airs, il s’envole et me rapporte des souvenirs. Ma vie n’est pas lourde de sens. Elle se contente de rôtir ses synonymes. Contrairement aux miens, j’ai le dogme facile, la divinité complice de mes rires et j’ai la culpabilité si brève que tout m’est heureux jusqu’aux oreilles. Ce n’est pas toujours vrai mais cela me sert pour traverser les eaux malsaines. Ah que ma vie est éternelle ! Il m’arrive, durant les étés au village, la nuit venu à pied, de pouvoir fabriquer des pyramides rien qu’avec mes orteils. Cela m’arrive sous les murs encore chauds de la journée, entre un thé et un ami, sur le ciment du trottoir, au seuil de la maison. C’est là que je rajeunis à vue d’œil en remontant les décomptes vers le zéro hurlant de la mère jeune à cette époque où le monde savait compter jusqu’à dix, avant de continuer en alignant des brebis et des oliviers pour accompagner les routes des villages, les uns vers les autres, parlant de la grosse ville qui arrive avec son drapeau, son bureau et son cerveau. Ah, que j’étais beau en ces moments sans semelles !!! Il suffisait de me regarder dans le visage pour comprendre que je n’avais pas besoin de prénom. Juste un tapotement sur l’épaule pour que je fabrique des forêts amovibles ou me lance dans les airs pour rameuter les meilleures histoires de ce pays et les faire aligner sur les fils des poteaux.
Ah, ce visage bleu du Dieu traversé de part en part de cigognes et de nuages comme des versets en désordre ! Comprenez-vous que je ne suis « Personne » ? L’Ulysse caché sous les brebis ? Mon rêve est d’avoir un moment et une maison pour écrire des livres et leur écrire des nouvelles. Mais, ce pays est fait de sable et de bâtons : un cyclope jaloux avec un mauvais œil en orbite géostationnaire.
Kamel Daoud
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