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Au regard des visages, Essai sur la littérature française du XXe siècle, Marie-Annick Gervais-Zaninger (par Olivier Verdun)

Ecrit par Olivier Verdun 15.09.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Hermann

Au regard des visages, Essai sur la littérature française du XXe siècle, Marie-Annick Gervais-Zaninger, 400 pages, 39 €

Edition: Hermann

Au regard des visages, Essai sur la littérature française du XXe siècle, Marie-Annick Gervais-Zaninger (par Olivier Verdun)

 

 

On sait, depuis Emmanuel Levinas, que le visage n’est pas tant une forme sensible que la résistance opposée par autrui à sa propre manifestation : rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme. Cette énigme de la rencontre intersubjective, la littérature n’a cessé de la traquer au XXe siècle, en un vaste panorama que Marie-Annick Gervais-Zaninger tente, avec beaucoup d’érudition, dans une langue parfois pâteuse mais toujours précise, de restituer. Son ambition, quelque peu titanesque, est d’entrecroiser discours savants et œuvres artistiques afin de mettre au jour, de Narcisse à Lacan, de Levinas à Yves Bonnefoy, ce que le visage a pu produire de trames conceptuelles.

L’auteur commence par décliner, comme il se doit, les différentes acceptions du visage, depuis sa triple dimension physique (« cette surface nue offerte aux regards des autres »), psychique (« la représentation que le sujet se construit de lui-même, son image intérieure ») et sociale (« ce qui résulte de l’interaction entre les autres et lui »), jusqu’à la tête qu’un Francis Bacon tente, à la façon d’un écorché, de faire surgir de l’intériorité organique, en passant par l’étymologie (visage se dit en grec ancien prosôpon, ce qui signifie littéralement « devant les yeux d’autrui ») et les notions de peau, de chair, de face, de regard, de figure.

Si le visage dit l’irremplaçable singularité de la personne et célèbre la profondeur de la peau où l’invisible affleure sous le visible, Marie-Annick Gervais-Zaninger nous rappelle que le XXe siècle est aussi celui de la défiguration, que ce soit au travers du traumatisme de la première guerre mondiale, avec son cortège hideux de « gueules cassées » tout droit sorti d’un tableau de Jérôme Bosch, ou de la barbarie nazie, avec son lot, guère plus amène, d’« affreuses marionnettes à faces humaines » (Hannah Arendt, Le Système totalitaire). Vient ensuite, dans les huit chapitres qui charpentent le livre, la ronde des considérations anatomiques (sur la bouche, l’œil, les yeux, le nez), philosophiques (l’un des chapitres, avec celui sur la peinture, les plus captivants, puisqu’on y parle de la phénoménologie du visage chez Sartre et Levinas, mais aussi de Deleuze et de Guattari dont les Mille Plateaux donnent du relief au propos), mythiques (Narcisse, le Minotaure, Méduse) et artistiques (peinture, photographie, Arts du spectacle).

La cerise sur le gâteau se trouve en plein midi, coincée entre les pages 208 et 209, et forme comme une oasis enchantée au milieu des plaines arides : le lecteur harassé goûtera un repos bien mérité en feuilletant une dizaine de photographies tout aussi sublimes les unes que les autres – ici L’Automne de Guiseppe Arcimboldo (1753), là un Samuel Beckett magnifié par le noir et blanc (1973), là encore un masque Nô peint par Hasegawa Tohaku (XVIIe siècle) et, last but not least, la Muse endormie de Constantin Brancusi.

On regrettera peut-être une conclusion par trop évasive dont les envolées sur les vertus thérapeutiques de la littérature, qui « elle aussi pense, mais par d’autres voies que le concept », nous semblent enfoncer des portes ouvertes. Le propos a parfois des relents de crème au beurre universitaire. On se perd souvent dans le dédale des citations et des notes infrapaginales qui saturent la page et qui donnent une impression de pitonnage bibliographique. Sans doute est-ce l’écueil qui guette ces sommes dont l’illusoire exhaustivité donne le vertige. Il reste que le travail considérable entrepris par Marie-Annick Gervais-Zaninger s’agissant d’un objet proprement insaisissable – le visage – force le respect, surtout quand on sait que cet ouvrage est le « premier versant d’une étude en deux volets qui s’équilibrera par la publication chez le même éditeur d’un second, consacré à des monographies, où sont interrogées les approches du visage que proposent huit écrivains : Marcel Proust, Claude Simon, Georges Perec, Michel Leiris, Marguerite Duras, Samuel Beckett, Henri Michaux et Yves Bonnefoy ». Affaire à suivre…

 

Olivier Verdun

 

Marie-Annick Gervais-Zaninger, ancienne élève de l’ENS de Fontenay, agrégée de Lettres modernes, est Maître de conférences à l’Université de Nancy 2 en littérature française du XXe siècle. Ses travaux portent, entre autres, sur Henri Michaux, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy, Julien Gracq, Claude Simon, Michel Leiris, Marguerite Duras.

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Olivier Verdun est un philosophe, essayiste et poète français.