Au fil de l’or, L’art de se vêtir de l’orient au soleil-levant (par Yasmina Mahdi)

Au fil de l’or, L’art de se vêtir de l’orient au soleil-levant, éditions Skira, Catalogue de l’Exposition du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, du 11 février au 6 juillet 2025, 256 pages, 47 €
Atours et objets de parures en or
Ce beau catalogue de l’exposition du Musée Jacques Chirac révèle la diversité et le foisonnement des pièces d’apparat, de vêtements uniques aux apprêts d’or fin, de l’art de se vêtir en Orient et en Extrême-Orient (jusqu’à la naissance du fil métallique Lurex) et ce, grâce à une riche iconographie. Or, broder au fil d’or est un exercice difficile, qui exige du sacrifice et du savoir-faire : « Si un brodeur cousait six heures au total dans une journée, cela signifiait qu’il devait “pointer l’aiguille” environ 360 fois par jour », nous dit Guo Pei, créatrice de mode.
Tantôt nommé « chair étincelante des dieux » chez les Égyptiens, « l’excrément du soleil » par les Aztèques, « sueur du soleil » par les Incas, « le feu de la terre » en Inde, l’or a fasciné et engendré de nombreux mythes. Ici, les textes des contributeurs – conservateurs, conservatrices, chercheuses et chercheurs, spécialistes du textile –, sont agencés de façon chronologique. Suite à une sorte de Bing Bang, comme le note Hana Al Banna-Chidiac, « L’or (…) aurait été rapporté sur Terre grâce à des bombardements intenses de météorites intervenus pendant des dizaines de millions d’années après la formation de notre planète, il y a plus de quatre milliards d’années. (…) Au cours des milliards d’années qui ont suivi, les mouvements géologiques et la tectonique des plaques ont fissuré les roches, favorisant ainsi la résurgence de fluides magmatiques enrichis d’or dissous ». Il a fallu néanmoins un certain temps pour « amener progressivement l’humanité vers l’art de l’orfèvrerie » [Banna-Chidiac]. L’or, extrait et exploité, a joué un rôle important comme véhicule commercial et civilisateur, depuis des cités jadis prospères.
Une terminologie scientifique est employée pour le façonnage, l’alliage des métaux et les phases du tissage, autour d’exemples rigoureusement documentés. La statuette représentant probablement la reine Dusigu, provenant d’Alba en Syrie, 2300 ans avant notre ère, est particulièrement impressionnante. Coiffée d’une chevelure tressée de perles (stéatite et jaspe), son visage énigmatique arbore un demi-sourire. Le corps de la reine est enveloppé d’un manteau doré sculpté en alvéoles. Par le biais de fouilles, d’archives et de sources écrites, les archéologues ont pu restituer les us et coutumes des dignitaires inhumés avec des parures funéraires et des objets de luxe. La couleur jouait également un rôle important dans les costumes des défunts. Les habits fastueux étaient l’apanage des cercles impériaux, royaux et ecclésiastiques. La production de la soie, de la pourpre, du fil d’or s’est étendue jusqu’à l’antiquité méditerranéenne. « Ces vêtements d’excellente qualité n’étaient accessibles qu’aux plus hautes sphères de la société. (…) À partir du IVe siècle après notre ère, les textiles d’or ont été particulièrement prisés par les personnalités royales des cours européennes et les hauts dignitaires ecclésiastiques qui ont, dès lors, utilisé l’or et l’argent tant pour leurs tenues d’apparat et de cérémonie que pour de coûteuses tentures et décorations » [Margarita Gleba].
Les « premières soieries rehaussées d’or (IIIe-Ve siècles) » proviennent de Chine [Zhao Feng]. L’art du tissage est le fruit du dynamisme des échanges entre le christianisme et l’islam, au Moyen Âge, quand les parures ornementées deviennent des protections de reliques et des habits sacerdotaux. Différents fils sont tissés, variant selon leur valeur, leur finesse et leur prix. Les techniques et l’emploi des fils d’or vont se perfectionner au fur et à mesure. Les effets visuels des fils d’or des vêtements de rois et du clergé à Byzance, donnent de l’éclat aux tissus, « les robes étaient ornées de symboles de la lumière divine et du pouvoir impérial. (…) Symboles de richesse et de faveur divine, les vêtements en fil d’or représentaient des statuts convoités, renforçant les hiérarchies sociales » [Christophe Moulherat]. Les décors sur satin, soie, lin et coton sont caractérisés « par une iconographie largement empruntée au répertoire animal et végétal du Moyen et Extrême-Orient : alternance de motifs, paire d’animaux affrontés ou adossés, animaux insérés dans un médaillon, feuilles d’acanthe, rinceaux végétaux, palmettes, etc. » [Dominique de Reyer].
En Algérie, « la broderie au fil d’or (…) assure une fonction de transmission culturelle immémoriale (…) suivant un registre stylistique composite qui mêle géométries berbères, arabesques andalouses, spirales vénitiennes et volutes ottomanisantes » [Leyla Belkaïd-Neri]. L’empire ottoman, le monde arabe (l’Égypte, Bahreïn), ont produit des trésors inestimables, dévoilant de surcroît « les multiples facettes d’une société multiculturelle et pluraliste » [Sahira Mehrez] – juive, chrétienne et musulmane. Par exemple, « il est donc possible (…) d’affirmer que le talï également, tout au long des siècles, fut le vêtement d’apparat des communautés juives » [Mehrez]. L’aspect de ces atours, robes, coiffures, ornements tissés ou recouverts de feuilles d’argent et d’or est également synonyme de « puissance occulte » [Idem]. Voire les photographies des « costumes de lumière des pays du soleil couchant » : caftans, plastrons, costumes de mariage.
En ce qui concerne les textiles indiens, citons Toolika Gupta, par exemple, à propos des saris : « Les saris Paithani sont tissés de fils d’or et de soie. (…) La technique de tissage de ces saris rappelle celle de la tapisserie. (…) Dans le Maharashtra, il était inconcevable de célébrer des noces sans ce type de sari ». Les sublimes pièces chinoises et japonaises sont exécutées avec inventivité, rivalisant de magnificence et d’audace esthétiques (manteaux, vêtements de scène, kimonos), et « leur utilisation nous révèle une certaine pérennité des gestes symboliques et héréditaires qui nous entourent » [Aurélie Samuel]. La haute couture française n’est pas oubliée, ni ses trésors d’imagination qui participent de la profusion artistique de la mode. Les influences en sont multiples, les nouveautés vestimentaires puisant naturellement aux sources des Anciens.
Yasmina Mahdi
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