Au-delà du ciel sous la terre, Aleš Šteger (par Didier Ayres)
Au-delà du ciel sous la terre, Aleš Šteger, Gallimard, Coll. Du Monde Entier, avril 2024, trad. slovène, Guillaume Métayer, 140 pages, 16,50 €
Le haut et le bas
La poésie de Aleš Šteger que je découvre dans la fameuse Collection Du Monde Entier, de Gallimard, représente à mon sens une tentative osée de faire correspondre dans une même expression les deux pôles de notre condition humaine : le ciel et la terre. Cette conception du monde est figurée par une écriture que je serais tenté de traiter d’oxymorique. Le bas et le haut, l’espoir et le désespoir, le noir et le blanc, le bien et le mal, le beau et la laideur, la présence et l’absence, le monde physique et métaphysique, le temps et l’éternité tout à la fois. Il y a donc deux mondes, le palpable et l’impalpable, deux mondes qui luttent au sein d’un débat axiologique, où matière et esprit sont l’étayage des poèmes, son bois d’œuvre.
Connais-tu la réponse,
Ce qu’est l’être, ce qui va à sa perte
Quand l’espace est traduit en langage
Par le corps, ma très chère,
Et le corps en disparition ?
Ainsi le lecteur balance entre la putréfaction et le suc des choses, et cela avec une poésie légèrement lyrique et surtout appuyée sur un univers complexe et dense, qu’une seule première lecture n’épuise pas. Et puis de grandes questions se posent, à savoir : le poème peut-il transformer le monde ? Peut-il l’influencer et le rendre meilleur ? Toujours est-il que l’on ressent avec netteté le cri qui se cache dans les pages, une profonde douleur d’être là, de franchir le temps pour s’affranchir de l’angoisse.
L’homme
Va vers le non-homme
Et vice versa.
Précipices, monstres, épreuves.
Le lieu où sa trace se perd,
Lui prête un nom.
L’être humain tout autant que le poète est partagé entre deux sentiments, l’absurdité morbide du monde, et la gloire d’un homme meilleur (peut-être spiritualisé ?). De cette façon, restent le sublime et le vulgaire, l’amour et la destruction, l’être devant sa finitude et son horreur, et les stigmates de la pensée ontologique. Y a-t-il lieu de voir parfois çà ou là la guerre de Yougoslavie de la fin du 20ème siècle ? En tout cas le ton général est sombre, poèmes écrits sur le mode mineur, peu de lumière et surtout de la douleur.
Je porte l’indicible.
Je suis homme.
Mais à quelle fin ?
Mais pourquoi ?
Ou
Ceci est un texte plein de cartes postales.
un texte plein de nouvelles
sur diverses frontières au milieu de l’Europe.
Un texte qui enseigne
ce qu’est toute frontière,
tout ce qu’une frontière peut être.
Pour conclure, je dirais que l’oxymore dont je parlais en supra a une qualité évidente de rassembler des forces antagonistes dans le même poème, oxymore de la frontière close et ouverte, du grand et du petit, de dieu et de l’homme, sans jamais trancher tout à fait totalement, donc un mode à part entière au-delà du ciel sous la terre.
Didier Ayres
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