Au carnaval des espérances, Jean-Claude Baise
Au carnaval des espérances, Les presses du midi, 2011, 224 p. 18 €
Ecrivain(s): Jean-Claude Baise
Au Carnaval des espérances est un roman dans lequel Jean-Claude Baise nous transporte dans un pays qu’il connaît bien : la Guyane. La Guyane et ses lieux emblématiques : Saint-Laurent-du-Maroni, Kourou, Cayenne. La Guyane et son exubérance végétale. La Guyane et sa moiteur, sa chaleur. Un pays où les corps sont peu vêtus, où les jeunes femmes marchent avec des « mouvements fondus et harmonieux, sveltes et félins ». Un pays dans lequel des populations se sont mélangées aux cours des siècles. « Ici, l’humanité pétillait comme si l’Histoire, avec des talents d’artiste, s’était servie de toute la palette des races humaines pour créer des teintes et des nuances toujours différentes ». Un pays avec un décor de rêve : le fleuve Maroni et les petites rivières se parcourent en pirogues ; les mygales surgissent sur les empennages de bois, les crabes aux pinces rouges s’enfuient sur le sol spongieux… Un pays de rêve ou de cauchemar, tout dépend.
Tout dépend du moment où l’on y arrive et ce que l’on vient y faire. L’histoire démarre à Cayenne, et par un grand moment : le carnaval. Une grande fête, un incroyable spectacle.
« Des demoiselles brunes se métamorphosaient en libellules turquoise et vertes ». Des groupes dansent. « C’est aussi la surexcitation des corps, les danses chaloupées de marquises masquées (…) le tournoiement des robes panachées ». Et pour accompagner la danse, « une démence musicale hurlait la joie de vivre ». Carnaval ! Le temps de tous les possibles. C’est dans ce bruit et dans cette ambiance de folie que l’on fait connaissance avec les principaux personnages du roman. Le premier à entrer en scène est Mattéo Vincenti. D’après ce qu’il sait, son père, qui l’a quitté à sa naissance, est en Guyane. « Une brûlure secrète qui consumait son âme et meurtrissait son honneur » de jeune corse. Puis vient Ruben, un médecin ivoirien, qui fuit son pays, qui débarque à l’hôpital de Saint-Laurent, et qui va se heurter aux traditions. On parle de Fabien Luciani, que personne ne sait où trouver, qui a peut-être disparu… Titaïna, qui est peut-être sa fille, quant à elle bien réelle, arrachée à sa Polynésie natale, ses fleurs, ses rochers et ses rivières, arrive à Kourou – un monde inquiétant, un « labyrinthe de solitude » – avec les idées de sa jeunesse, ce qui causera quelques difficultés à la communauté guyanaise. Et Molokoï, un Amérindien, indispensable relais local.
Mais les premières impressions festives ne durent pas. Tout ceci n’est-il pas autre chose qu’une façade trop visible et trop riante ? « Tous ces visages hilares et cette tapageuse mascarade, n’étaient-ils pas de simples masques travestissant de bien sombres préoccupations ? » Ces fêtes sont-elles encore spontanées, ou bien servent-elles à cacher une dure réalité ? Dans une contrée qui – pas plus qu’ailleurs – n’est pas « épargnée par l’affrontement et le désir de nuire des hommes » ; dans des villes et des villages où les jeunes ne s’émerveillent plus du monde de la forêt et n’apprennent plus les secrets des plantes et des animaux, occupés qu’ils sont à consulter les messages plus ou moins sincères qui s’affichent sur leurs téléphones portables : qui dit vrai, et qui avance masqué ? Ici comme ailleurs, le passé et le présent se heurtent. Comme les civilisations. Comme les coutumes et comme les croyances. Comme la vérité et le mensonge. C’est dans ces ambiances chaudes, colorées, moites, que s’avancent et se croisent les protagonistes de cette histoire. Mais quels liens, quelles histoires unissent tous ces personnages ? Quelles bribes de passé vont venir télescoper les instants présents et les rencontres fortuites ? Et comment ces rencontres vont-elles se résoudre ? Au lecteur de le découvrir… Il y aura des larmes, de l’amour, du soleil. Mais aussi des retournements de situation, comme dans tout bon roman. Et de nouvelles espérances…
Les premières lignes : « La lumière était moins éblouissante et l’après-midi déclinait mais les rues restaient désertes et la ville assoupie. Mattéo avait hésité à quitter la fraîcheur de son hôtel car à l’extérieur l’air mijotait dans une moiteur qui suintait des murs, exhalait du sol et ruisselait du ciel. De la droite arriva un groupe étonnant ».
Lionel Bedin
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