Asinus in fabula, Guido Furci
Asinus in fabula, avril 2015, 61 pages, 12 €
Ecrivain(s): Guido Furci Edition: Cardère éditions
Asinus in fabula. Certes, l’âne est dans la fable depuis longtemps, l’âne est un personnage littéraire depuis la littérature, au moins depuis Apulée. Comment cet asinus in fabula est-il devenu le titre de ce singulier recueil de Guido Furci ? L’âne est présent, au milieu du recueil, dans une très courte fable originale d’une page en italien faisant face à une page en français, fable dont il est le héros. Grâce à ses oreilles en forme d’hélices, il vole jusqu’à la lune, s’y pose, et constate : « La lune est une énorme ricotta. C’est juste qu’elle ne bouge pas à droite et à gauche comme un flan… ». L’âne est capable de voir ce que le commun des hommes mortels ne voit pas. L’âne est capable de comprendre la lune. L’âne est un poète. L’auteur est un poète. L’auteur est un âne. L’auteur âne poète a des oreilles en forme d’hélices. Tous les poètes auraient-ils des oreilles d’âne en forme d’hélices ?
L’ouvrage est structuré de façon symétrique comme un diptyque dont le centre est le conte de l’âne. D’un côté, et de l’autre, deux compositions de versets numérotés de un à vingt-quatre, soit quatre-vingt-seize au total. Le lecteur est incité à mettre en correspondance, une à une, les compositions qui précèdent le conte de l’âne avec chacune de celles qui le suivent.
L’écriture est circulaire, répétitive, obsédante, incantatoire. Les thèmes de référence tournent en boucle, cherchent à soûler. Il y a d’abord l’enfant Nicolas, cousin de Marion, dont la mort à l’âge de trois ans et demi, suite à « une maladie rare », évoquée de façon cyclique, hante le narrateur qui, s’exprimant à la première personne, présente ailleurs dans le texte Marion comme étant sa propre épouse.
Le cousin de Marion s’appelait Nicolas.
Il est mort à l’âge de trois ans. Il était beau.
Il y a donc Marion.
Marion est ma femme, mais elle ne sait pas pourquoi.
Il y a le père et la mère (de Marion ?)
Son père était en train de lire. Son père était en train de mourir.
Il y a « l’histoire des Juifs d’Europe », dont le souvenir de l’holocauste lancine le narrateur, et vient en écho récurrent lanciner le lecteur.
Quand son père était en train de mourir, il lisait l’histoire des juifs d’Europe.
Il y a la mort, sans conteste le personnage principal du recueil, personnage omniprésent, par les occurrences du verbe mourir qui fourmillent dans le corpus.
Il y a le tragique, qui pèse, l’indicible, qui plane, l’implicite, qui enveloppe, le tacite, qui étouffe, les secrets (de famille ?) qui harcèlent.
« Mais pourquoi toutes ces histoires de famille ? »
Il y a l’allusif, le non-dit, le sous-entendu, ce qui ne sera jamais explicité.
« Vous voyez ce que je veux dire ? »
Et il y a la peur, la menace, le péril, d’autres drames, en écho à ceux du passé.
« Voici le sens de ce détour, le sens de ce grand jour
qui reste indispensable pour essayer de
comprendre cette peur d’aujourd’hui »
« la peur d’aujourd’hui n’a presque rien à voir avec les juifs d’Europe.
La peur d’aujourd’hui est jaune comme les photos des années 1980.
La peur d’aujourd’hui fait peur comme les coiffures des années 1980 »
Alors il y a la tentation, la terrible solution finale…
« moi aussi j’ai envie de finir »…
La redondance des anaphores, des répétitions, des versets qui reviennent à l’identique, comme des attaques incessantes d’idées fixes, le parallélisme des quatre parties, comprenant chacune un même nombre de versets, participent de l’expression par le poète, de l’impression pour le lecteur, d’un tourment, d’un remords, d’une hantise quasi psychotique, que l’auteur pousse au paroxysme en adoptant régulièrement un langage enfantin sous forme proche de la comptine, ou une espèce de psittacisme propre à celui de l’innocent… (ou de celui qui fait… l’âne ?).
« Les spécialistes auront compris pourquoi j’évoque ici un cauchemar cauchemardesque.
Les autres non. Ils ne peuvent pas savoir tout ce qu’il y a dans ma tête.
Tant mieux ».
Et puis il y a la quatrième partie, originale, presque entièrement faite de versets redits mais immédiatement raturés, barrés, procédé typographique par lequel le poète semble effacer tout ce qui a été écrit auparavant, comme si ce qui a été dit n’aurait pas dû l’être, comme si ce qui est destiné à être édité aurait dû rester inédit… ou comme si, finalement, l’auteur posait la question de la finalité, de la vanité, de l’utilité d’écrire.
« Avant que la nuit tombe, il faut que j’efface d’un seul trait :
tout est fait… »
Ce n’est pas ma faute si lui il est mor :
Ce n’est pas ma faute s’il avait tort.
Avec des Guido Furci, la poésie sera toujours un art majeur. Il convient de remercier les Editions Cardère pour la publication de ce texte de haute qualité.
Patryck Froissart
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