Art Nouveau, Paul Greveillac (par Stéphane Bret)
Art Nouveau, Paul Greveillac, août 2020, 287 pages, 20 €
Edition: Gallimard
Le vingtième siècle fut source de bien des révolutions en matière artistique ; ainsi du domaine architectural dont Lajos Ligeti, jeune apprenti architecte et personnage principal du roman Art Nouveau de Paul Greveillac. Ce personnage nourrit un projet, fou et démesuré : construire l’Empire austro-hongrois, et en cas de succès, construire l’Europe, le monde entier. Lajos Ligeti déménage de Vienne à Budapest, l’autre centre névralgique de l’Empire multinational. C’est tout d’abord cette volonté de marquer son milieu de son empreinte qui séduit le lecteur : naïve selon les uns, présomptueuse selon les autres, qui conduit Lajos à s’appuyer sur des architectes de référence, déjà consacrés par le spécialiste : il lit ainsi le traité d’Owen Jones sur la thématique de l’ornement, Camillo Sitte, qui opte pour le conservatisme en architecture.
Des architectes du Nouveau Monde trouvent grâce à ses yeux, tel Louis Sullivan, mais ce qui motive la démarche de Lajos Ligeti, c’est le désir, source de toutes les créations et origine primordiale, indispensable préalable à l’élaboration de tout projet :
« Le rêve a la fragilité du miracle (…) Nous avons faim de tabous. Nous nous mourrons de la pauvreté de nos rêves. En leur absence, nous sommes de grands orphelins à l’ombre de nos désastres intimes. (…) Parce que nous manquons, peut-être, de courage. De désir ».
Le lecteur trouvera aussi dans ce beau roman une évocation de la vie de l’Empire de François-Joseph, marqué à cette époque par une intense ébullition artistique, des révolutions dans l’esthétique, la musique. On croise ainsi dans le roman Otto Wagner, à propos de la querelle des ornements, Adolf Loos, Bela Bartok. L’auteur du récit pointe également la difficulté pour Lajos Ligeti, d’origine juive, de s’imposer face à ses concurrentes et aux embûches qui ne manquent pas d’obstruer son parcours. Paul Greveillac évoque cette ambiance, ce poids de l’histoire qui sanctionnera finalement l’Art Nouveau par la guerre :
« Aucun art, semble-t-il, n’a tout à la fois réifié, aimé, idéalisé, sanctifié les femmes autant que l’art nouveau. Il s’est épanoui dans une débauche de sensualité et de vie, avant que de pourrir dans l’horreur et la mort de la guerre ».
Un roman très plaisant, touffu, dense, mais qui se lit sans être un spécialiste de l’histoire de l’art ou de l’architecture. Une belle illustration d’une utopie : la volonté de reconstruire le monde, au sens propre du terme.
Stéphane Bret
Paul Greveillac né en 1981 est un romancier et novelliste français. Il reçoit le Prix Roger-Nimier ainsi que la Bourse de la Découverte de la Fondation Prince-Pierre-de-Monaco pour son premier roman, Les Âmes rouges, dont l’histoire se déroule au temps de l’Union soviétique. Le personnage principal est un censeur, amoureux de cinéma et de littérature. Son roman Maîtres et esclaves reçoit le Prix Jean Giono en 2018.
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