Ars Poetica, Poèmes bibliques, Yorgos Thèmelis (par Didier Ayres)
Ars Poetica, Poèmes bibliques, Yorgos Thèmelis, Éd. Ressouvenances, mai 2021, trad. grec moderne, Bernard Grasset, 188 pages, 21,99 €
La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement.
Luc XXII, 23
Poèmes aigus
Pour définir mon sentiment à l’égard de cette traduction et du travail de Bernard Grasset, je voudrais user d’un peu d’étymologie avec une certaine licence. Car ces poèmes aigus, comme le titre de cette chronique le souligne, s’apparentent intellectuellement à la définition du baroque, ici pensé comme perle irrégulière. Et comme de plus cette poésie défend une idée de la croyance religieuse (orthodoxe ?), cette perle irrégulière donne à penser au caractère aigu de l’irrégularité de la perle. Angles, décrochements sur la page, majuscules, tout est ici hérissé, cubique.
(Sans incarnation : corps-âme alliance
corporelle,
Comment mourir : comment ressusciter
Résurrection : corporéité des morts, autre
naissance).
Ce rythme haché, cette utilisation de fractures visuelles sur la page, cette scansion presque violente, m’ont fait songer à Emily Dickinson. Ici, donc, une défense de la foi, sans rondeurs patelines mais davantage une poésie sèche, nue. Le poème est épreuve spirituelle, adossé à un univers d’arcanes, où le poète devient guide, quête la vérité, vérité cachée par le style clair et presque froid du chant de Thèmelis. Cette littérature, celle de la toute fin de la vie du poète, se compose par éclats, comme on le dirait de fragments cassés d’un miroir, vision ultime et sans aucun mensonge, d’une espèce de kaléidoscope où la coupure est signe autant que le lien qui lui donne sa forme. Ainsi, écriture lapidaire, verre soufflé, pierre confrontée au feu puissant d’un feu, paysage volcanique, gris et anguleux, telles sont mes sensations de lecteur.
L’Amour est enterré, il repose
Au tombeau, dans l’attente,
L’attente de quoi ?
Il repose. Je suis seul, attendant
la fin,
La prochaine Parousie,
Moi seul, comme un gouffre,
Cachant le vertige, l’attrait
de l’abîme,
Cherchant des marches.
Cela agit pour moi comme coalescence, où le style heurté de la prosodie se fond dans le message religieux, poèmes attachés à l’exégèse de la Bible. Expérience de la nudité mystique, nudité de fait devant la mort, trajectoire et fin d’un destin d’écrivain, délivré des contingences terrestres, poète porté vers une essentialisation sans fard, un point de vue, une optique, un anglet propre à contenir la raréfaction du souffle, coupe de verre, nature compendieuse du texte, et donc de la personne humaine.
Didier Ayres
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