Arizona Tom, Norman Ginzberg
Arizona Tom, août 2013, 224 p. 17 €
Ecrivain(s): Norman Ginzberg Edition: Héloïse D'Ormesson« À Brewsterville, les distractions sont rares. /…/ Ce n’est pas moi qui m’en plaindrais. Moins il s’en passe mieux je me porte. Je suis le shérif de ce bled. Un shérif placide et discret, ni bégueule ni fiérot. Pas un de ces paltoquets qui bombent le torse devant les voleurs de poules, une main sur l’étoile, l’autre sur la crosse de leur colt. Je suis shérif comme d’autres sont putains ou croquemorts, parce qu’il en faut ».
Ocean Miller, alias Ocean Meier, fils de juifs immigrés venus chercher fortune en Amérique après avoir fui Hambourg où ils ne vivaient que dans la malédiction, la misère et le mépris, se livre au soir de son existence au jeu des confidences. Une vie sans grande étoffe, souvent marquée par la poisse, jusqu’à ce poste de shérif dans ce trou perdu d’Arizona aux limites du désert de Mojave. Entre deux rasades de bourbon, il se remémore… les petit boulots d’avant, les succès faciles auprès des femmes, l’engagement dans l’Union pendant la guerre de Sécession aux côtés du général Chamberlain, le poste d’adjoint d’un marshal dans le Kansas, la traque aux voleurs de bétail, les amitiés trahies et au bout de la route, ni épouse, ni enfants, ni même un toit, dans ce bled où il ne se passe rien ou presque. Sauf le mercredi 8 juin 1883, où le chemin du shérif croise dans le désert celui d’un gamin sourd-muet, Tom, tirant au bout d’une corde un homme-tronc.
Point de départ d’une enquête où Miller, convaincu de l’innocence de Tom, contre l’avis du maire de Brewsterville, son ennemi attitré, va chercher à remonter le fil des événements et tenter de découvrir le ou les coupables. S’enchaînent alors des rebondissements où l’on retrouve tous les ingrédients du genre western avec ses brutes épaisses, ses escrocs, ses couards, ses putes, ses indiens Hualapais spoliés mais roublards en affaires, ses coyotes bouffeurs de cadavres, ses trésors planqués au fond d’une grotte, son règlement de comptes final. Rien ne manque.
Norman Ginzberg brosse une galerie de portraits d’une extrême précision, parfois poussés aux marges de la caricature mais à l’effet comique garanti. Chaque personnage, et ils sont nombreux, est fouillé, décrit avec soin. Une mention spéciale pour l’U.S. marshal Texas King, dragueur invétéré, au langage aussi châtié que vulgaire, qui « ressemblait, au choix, à un croquemort des beaux quartiers de New-York paré pour les obsèques d’une aristocrate ou à un prédicateur véreux qui se serait mis les oboles de ses ouailles dans les fouilles » et dont la devise est : « Va au-devant du danger, ça ne lui laissera pas le temps de te surprendre ».
Si le personnage du jeune Tom n’est pas le double au masculin de Matthie Ross, ni Miller celui de Rosster Cogburn, l’adolescente et le marshal borgne et ivrogne de True Grit, héros du roman de Charles Portis, pourtant, on sent sous la plume de Norman Ginzberg cette tentation de mettre en parallèle des générations opposées dans un Ouest américain qui vit les dernières heures de son époque mythique, de confronter un monde et des mentalités sauvages à une société plus policée et réglementée. Il le fait avec humour, détournant de façon subtile et adroite les codes du genre, toujours à mi-chemin entre la parodie et la réalité très documentée.
Les liens ambigus qui se tissent entre Miller et Tom, le premier s’attachant comme à un fils à ce curieux môme, qui « dessinait divinement bien, désossait un mouton avec le tour de main d’un boucher aguerri et devinait vite à qui il avait à faire », le second, oscillant entre un comportement d’ange et des pulsions qui glacent le sang, sont abordés avec finesse et pénétration. Des personnages attachants où, derrière l’humour, se cache une bonne dose de mélancolie.
Arizona Tom fait partie de ces livres distrayants, très agréablement écrits, qui plongent le lecteur dans une ambiance « country » et redonnent au genre littéraire western un intérêt indéniable.
D’ailleurs, lorsque dans une interview on demande à l’auteur : « Si ce livre était une chanson, quelle serait-elle ? », sa réponse est explicite : « Une chanson à la fois triste et drôle de Johnny Cash, comme lui seul savait les écrire et les chanter ».
Catherine Dutigny/Elsa
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