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Ariel dans l’orage, Pages inédites, André Suarès (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché 10.04.25 dans La Une Livres, Anthologie, Les Livres, Critiques

Ariel dans l’orage, Pages inédites, André Suarès, éditions Le Condottiere, février 2025, 384 pages, 20 €

Ariel dans l’orage, Pages inédites, André Suarès (par Philippe Chauché)

 

« Je trempais dans un prisme liquide, toutes les couleurs et toutes les nuances, depuis la pourpre jusqu’au reflet de la soie verte la plus pâle, quand elle est comme l’ambre ou comme la liqueur d’absinthe, à peine battue d’eau. L’œillet rouge du ciel s’éparpillait en pétales sans nombre. Une caresse de l’air me touchait tendrement au front et aux tempes » (Voyage du condottière, Vers Venise, Entrée à Venise, André Suarès, Granit, Collection de L’Aimant, 1984 (réédition).

« Suarès a écrit la Comédie humaine de la France et de l’Europe, à travers leurs plus grandes figures, de l’Antiquité à nos jours, et à travers leurs plus beaux paysages, de la Bretagne à la Sicile, de l’Ile de France à la Provence, avec des aperçus de la Norvège. Pour qui veut savoir qui fut Aristophane ou Saint-Simon, Caligula ou Napoléon, mais aussi bien Cervantès ou Rimbaud, il reste un sourcier de l’âme génial » (Le paradoxe d’Axolotl, Préface Stéphane Barsacq).

« J’ai toujours cru qu’un grand peuple, comme un grand homme, donne des règles de style au reste du monde ; il en va de l’action comme de la poésie : quand le grand style paraît, il faut tôt ou tard qu’on le reconnaisse, et reconnu qu’on le suive. Dante aujourd’hui égare les italiens, parce que son ère est révolue ; mais il les a soutenus et sauvés pendant six cents ans » (Urbs et orbis, Les écrits nouveaux, mai 1921).

Il est des fidélités qu’il convient de saluer, celle que porte Stéphane Barsacq à André Suarès est admirable et vivifiante. On lui doit d’avoir publié depuis plus de dix ans, pépites oubliées ou inédites depuis, (1), la dernière en date regroupe des textes inspirés, brillants, brulants et souvent troublants. Ce recueil s’ouvre sur la Vérité, à n’en douter on est au cœur d’une pensée que n’aurait pas niée Frédéric Nietzsche, par la vivacité de son esprit, et sa pensée qui touche au plus juste – Tout le monde est comédien sur le théâtre de la vie comme les acteurs sur la scène. Le lecteur se transforme en abeille lorsqu’il lit des textes ainsi regroupés, il s’agit de butiner au hasard, et toujours avec entrain, il ouvre les Carnets et les Pensées, Suarès salue une nouvelle fois les grands stylistes qui l’accompagnent comme de joyeux compagnons qui savent saisir le monde et le dévoiler – Montaigne et Shakespeare sont le plus de leur siècle finissant et de tous les temps. La Bretagne, sa terre d’adoption littéraire, physique, est au cœur de Ker-Ënor, un portrait d’une éblouissante synthèse de ce qu’il ressent, au plus profond, de ce qu’il vit, voit et imagine, où il brosse le portrait de Caërdal, l’un de ses pseudonymes, dans la tourmente, la douleur et l’orage, le tout dans un précipité littéraire unique – Cette lumière est la clarté d’une pensée enfin pénétrée d’amour –, comment ne pas penser aux Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, un Breton de cœur et de sang ?

« Retour de pensée, retours de flammes : meurt de ces brûlures. On a cru penser dans le vague ou l’abstrait ; et voici que le dard de cette pensée vous entre soudain dans le plus vif de l’âme et vous perce le cœur » (Remarques, La Nouvelle Revue Française, juillet 1928).

La double force de ce recueil de textes rares et oubliés de Suarès, c’est son originalité, Suarès touche à tout, plongeons dans l’admirable évocation de la vie dans un sous-marin – Préface à l’angoisse des veilles sous-marines –, avec la même excellence qu’il a touché à l’Italie, et son style, vif, brillant, éblouissant, et lumineux. L’exercice littéraire qu’il pratique dans des revues (NRF, Comeodia, Les Nouvelles Littéraires) ou pour lui-même, espérant, peut-être un jour, les transformer en livres, est celui d’un écrivain au regard d’aigle, se méfiant de la lumière, et misant sur la solitude. Suarès fut admiré par Malraux, Gide, Claudel, Zweig, Unamuno, Nimier, Gracq, Montherlant, admiré et finalement oublié, comme s’il était l’auteur d’un livre unique, célébrant la majesté des villes italiennes. Peut-être était-il trop classique dans ses admirations et trop moderne dans ses visions, il en va ainsi des isolés magnifiques, dont Suarès restera la figure la plus éblouissante de la littérature française.

 

Philippe Chauché

 

(1) Sur la musique (Actes Sud), Contre le totalitarisme (Les Belles Lettres), Miroir du temps (Bartillat), Sur Dostoïevski (Corlevour), Vues sur Baudelaire, et Sur Molière, suivi de Clowns (Editions de l’Instant).

Quelques livres d’André Suarès : Ames et visages, De Joinville à Sade ; Portraits et préférences, De Benjamin Constant à Arthur Rimbaud (Gallimard), (Robert Laffont, Coll. Bouquins).



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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com