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Après, Raphaël Meltz (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera 03.04.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Le Tripode

Après, Raphaël Meltz, éditions Le Tripode, janvier 2025, 133 pages, 16 €

Edition: Le Tripode

Après, Raphaël Meltz (par Gilles Cervera)

 

Dur et doux deuil

Raphaël Meltz interroge l’énigme absolue et il l’interroge depuis un point de vue inédit.

L’auteur ôte la pesanteur, nous livre à l’onde, à ses mouvements, ses flux et nos fluctuations. Sans esbrouffe ni artifice, sans morale non plus. Lire Meltz enseigne au dur et doux du deuil !

L’énigme absolue dont il est question plus haut, l’avez-vous deviné, l’énigme de l’énigme, n’est autre que la mort.

Que de questions dans la question ? Non, non !

La mort, point c’est tout.

Celle occasionnée par l’accident archi con, au bout de la rue, vélo en carbone, un matin, frein droit qui pète, camionnette latérale. Point final.

Le point de vue inédit de Meltz propose une sorte de ready-made littéraire sous forme d’une invention plate et athée qui nous transporte et nous percole de l’autre côté de la mort. Le mort voit. Oui le cycliste au sol, dès qu’il s’est vautré au sol, sent, voit, regarde, décrit. Démarrage d’un douloureux et poétique compte à rebours dans le sens inverse. Vers l’éternité.

Le livre est doux et chapitré. Temporalisé depuis la première minute, la semaine, le mois, l’année. Comment le mort, au fil de ces séquences, continue de nous voir. De nous voir vivre, de nous voir nous effacer. Pas nous ! Mais tout ce qui a été soufflé par l’instant de l’accident. Chez lui, entre la cuisine, le lycée de la grande, le collège du garçon et le piano de sa femme.

Le mort vit à Marseille, il a deux enfants, une femme professeure de piano qu’il aime.

Le mort vit. C’est ça qu’il faut comprendre. C’est un postulat rarement emprunté. C’est la face nord sans que ça caille à l’excès. Peut-être, disons-le-nous, car on apprend peut-être cela dans ce roman, que le regard du mort est un regard plein, systémique, ouvert et somme toute compatissant. Le mort est empathique, le sentez-vous ?

Le mort compatit avec les vivants.

Il voit mieux que les vivants car il voit tout. Il se promène sans jouer les fantômes. Le livre nous fait croire l’incroyable parce que l’incroyable est crédible. C’est une expérience et qui a connu ça sait de quoi on parle ! Le roman de Meltz ne se présente surtout pas comme un défi ni une prouesse, encore moins une dystopie. Non, un constat du plein alors qu’on s’imaginait du vide. C’est bien du deuil dont on parle.

Le mort est le témoin. Des crises de larmes, des coups, han, dans le punching-ball de Lorenzo, des effondrements, des premiers fous rires, de la première soirée dehors chez les amis. Tous ces moments zombies où le mort se mêle de tout mais d’ailleurs.

Regarde tout, mais les yeux fermés.

Le mort participe de tous ces moments où les zombies s’assoient à table, commandent des pizzas, fêtent les anniversaires : Raphaël Meltz donne des détails.

Il avance doucement. Il prend des précautions avec le lecteur, parfois un peu trop. Est-ce un reproche d’en vouloir à qui veut nous épargner ?

Dans cette chronologie d’après coup, chaque chapitre est scandé d’un petit onglet phatique tellement simple qu’il précipite le lecteur dans cette avidité temporelle : et puis.

Et puis n’est jamais épuisant. C’est une charnière de chairs plus que de portes.

Le mort s’appelle Lucas. Roxane est sa femme. Sofia sa fille aînée et Lorenzo treize ans, le cadet. Voilà la famille.

« Un soir il les regarde rire, tous les trois ils rient, ils sont à table et peut-être que Sofia a fait une blague, sans doute, des trois c’est la plus farceuse, elle a toujours aimé raconter des plaisanteries, des histoires drôles, les humains sont ainsi faits que certains n’aiment rien tant que de faire rire leurs congénères, tandis que d’autres n’aiment rien tant que rire aux blagues des autres (d’autres encore n’aiment ni rire ni faire rire mais heureusement ceux-là ne font pas partie de la famille de Lucas) ».

Pas ou peu de point. Ponctuation sans points puisqu’on a déjà évoqué l’éternité. Temporalité longue s’il en est !

Il s’agit d’une perte qui ne donne pas l’idée de l’arrêt mais ouvre à la continuité.

Un roman doux et dur. Froid et chaud. Pesant et léger. Du point de vue de Lucas :

« Lui aussi a entamé son deuil.

Sans larmes – à quoi bon pleurer ?

Sans tristesse. Cela ne fait plus partie de lui : ni la tristesse, ni la peur, ni la peine, ni l’effroi.

Faire le deuil, pour lui, c’est juste se préparer à perdre leur présence – par vagues ».

Avouons-nous surpris de cette place où nous déplace l’auteur.

Avait-on une seule fois pris la place du mort ?

On va le regarder autrement nous regarder.

 

Gilles Cervera



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A propos du rédacteur

Gilles Cervera

 

Gilles Cervera vit entre Bretagne et Languedoc.

Instituteur, psychanalyste,

Auteur de :

L'enfant du monde et Deux frères aux éditions Vagamundo

Les Mourettes et Pension(s) aux éditions Un ange passe