Après l’orage, Selva Almada
Après l’orage, traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba, mars 2014, 134 pages, 16 €
Ecrivain(s): Selva Almada Edition: Métailié
A la croisée des chemins
En route vers la demeure de son ami pour lui rendre visite, la voiture du pasteur Pearson tombe en panne au milieu de nulle part. Il est alors obligé de s’arrêter avec sa fille, Leni, dans un garage de fortune. Là, il attend patiemment que El Gringo Brauer, le garagiste, un homme taciturne et malade, répare le moteur de son véhicule. Entre la mauvaise humeur de sa fille et la chaleur insoutenable, le pasteur est attiré par la candeur de Tapioca, l’assistant et fils de El Gringo. Il va tout faire pour convertir cet enfant et faire de lui un prêcheur, un guide tel qu’il aurait voulu être : « Tapioca, José, n’allait pas être son successeur : il allait devenir ce que lui-même n’avait pas réussi à être ». S’ensuit alors un bras de fer entre les deux hommes, l’homme de Dieu et le garagiste, père adoptif de Tapioca, pour savoir lequel des deux gardera avec lui l’adolescent.
Contrairement à ses contemporains, l’intrigue de Selva Almada n’aborde pas de question politique. En effet, ce qui intéresse l’auteur est le combat métaphysique entre deux hommes que tout oppose. Le Révérend ne jure que par son Dieu et voit dans sa panne la manifestation d’une volonté divine, celle de sauver l’âme de Tapioca. El Gringo est, quant à lui, un homme brisé par la maladie et la vie. Ce qui le préoccupe est le « ici et maintenant ». La rencontre entre ces deux hommes est un moment provoqué par l’auteur pour étudier le comportement humain et les émotions qui émergent lors d’une situation de tension extrême. Tout concourt à renforcer le huis clos. Les personnages sont bloqués dans un lieu désertique brûlé par la chaleur. Le temps est alors suspendu. Ils attendent la réparation de la voiture puis plus tard la fin de l’orage. Pendant cette attente, chacun a un but bien précis en tête. Le Révérend use de cette occasion pour convaincre Tapioca de partir. El Gringo s’acharne sur la voiture du Révérend car il veut qu’il parte puisque l’homme de Dieu constitue un élément perturbateur dans son quotidien fragile.
L’orage est certainement un élément essentiel dans ce texte. Il est annoncé par El Bayo, le chien jaune, l’animal de l’autre monde : « El Bayo secoua la tête, chargée de toutes ces odeurs reconnaissables. Il frotta son museau contre l’une de ses pattes comme s’il voulait nettoyer sa truffe, la délester de tout cela.
Cette odeur qui contenait toutes les odeurs à la fois, c’était celle de l’orage qui approchait. Même si le ciel était encore limpide, sans nuage, aussi bleu qu’un ciel de carte postale.
El Bayo leva une nouvelle fois la tête, ouvrit la mâchoire et poussa un long hurlement.
L’orage approchait ».
L’orage est comme l’expression de la passion, des désirs et la colère longtemps refoulés qui se retrouvent soudain exposés à la surface. En quelques heures, tout se dénoue et tout s’achève. La voiture repart sur les routes laissant peu à peu dans l’oubli le petit garage où vit El Gringo et ses chiens : « (il) ne s’en rendit pas compte (…). Il sortit la tête par la fenêtre ouverte, vit la maison et la vieille pompe à essence devenir de plus en plus petites jusqu’à disparaître complètement ». Après l’orage, les vies sont à tout jamais bouleversées.
Après l’orage est un court et beau roman sur la fragilité des vies et des êtres. Les rencontres, les contretemps et les hasards peuvent faire une irruption brutale dans une vie, la secouer pour ensuite la laisser inerte, ébahie et désemparée.
Victoire Nguyen
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