Identification

Apeirogon, Colum McCann (par Sylvie Ferrando)

Ecrit par Sylvie Ferrando 04.09.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Iles britanniques, Roman, Belfond

Apeirogon, traduit de l’anglais (Irlande) par Clément Baude, août 2020, 512 p., 23 euros

Ecrivain(s): Colum McCann Edition: Belfond

Apeirogon, Colum McCann (par Sylvie Ferrando)

 

Un apeirogon est un polygone infini, à multipes facettes. Le roman de Colum McCann est, de la même façon, une construction très élaborée, en forme de boomerang ou de boustrophédon : des chapitres de longueur variable, allant de la phrase à la dizaine de pages, tels des versets ou des sourates, vont croissant de 1 à 500, avec un point d’orgue ou acmé à 1001, puis vont décroissant de 500 à 1. On pense à un retour temporel, à un parallèle existentiel, à l’Hyperion de Dan Simmons et à la course des pèlerins contre le temps.

On pense aussi à une fresque multifocale, extrêmement documentée, dans laquelle le lecteur est assailli d’informations à la fois tragiques et poétiques : ainsi, on apprend que « le terme mayday -apparu en Angleterre en 1923, mais dérivé du français « Venez m’aider »- est toujours répété trois fois, mayday, mayday, mayday. La répétition est vitale : dit une seule fois, le mot pourrait être mal interprété […] » ; de même, « le seelonce mayday, ou silence de détresse, est maintenu sur la fréquence radio jusqu’à ce que le signal de détresse soit terminé.

Pour mettre fin à l’alerte, l’émetteur dit, au moins une fois, seelonce feenee, déformation à l’anglaise des deux mots silence fini. » ; en outre, les balles faites de métal en leur cœur et revêtues à leur extrémité d’un caoutchouc vulcanisé spécial sont surnommées par les soldats, d’une façon affreusement paradoxale, « les pilules de Lazare », car, quand c’est possible, on peut les ramasser et les réutiliser.

Au-delà de la brute dénonciation politique de l’affrontement israélo-palestinien, le roman est parcouru d’analogies poétiques : les drones, les bombes sont des oiseaux ; les armes, les balles, vivent plusieurs vies. Le motif de l’oiseau ou de la colombe parcourt le récit, métaphore tantôt guerrière, tantôt pacifique. Ce roman riche et foisonnant fait la part belle aux détours historiques : sur le dressage des faucons dans le désert bédouin, sur l’aventure de l’explorateur Sir Richard Francis Burton au XIXe siècle, sur la mort de François Mitterrand, sur la correspondance entre Einstein et Freud… A l’instar de Dos Passos dans sa trilogie américaine (USA, années 1930), Mc Cann mêle à son récit des images, des titres de journaux typographiés, des citations, des anecdotes. Il témoigne d’une époque, celle où Philippe Petit traverse sur un filin la vallée de Hinnom, la Géhenne de la Bible, vêtu d’un pantalon dont la jambe droite est de la couleur bleu clair d’Israël, et la gauche porte les couleurs entremêlées du drapeau palestinien, avec l’envol d’une colombe à mi-parcours ; il témoigne aussi de l’époque de la première Intifada en 1987, de la deuxième en 2000.

L’intrigue est fondée sur un parallèle : l’Israélien Rami Elhanan et le Palestinien Bassam Aramin perdent chacun une fille ; Smadar meurt en 1997 dans un attentat perpétré par trois kamikazes palestiniens à Jérusalem ouest, alors qu’elle allait chercher des livres en ville avec des amies ; Abir est abattue en 2007 par un garde-frontière israélien anonyme, à Jérusalem est, en face de l’école de filles, alors qu’elle venait de s’acheter des bonbons. En chacun des deux hommes, à dix ans d’intervalle, c’est la même panique, la même détresse. Les deux pères, meurtris, décident d’œuvrer pour la paix, chacun à sa façon : Bassam reprend des études en Angleterre et donne des conférences dans le monde entier ; Rami s’engage dans l’association pacifiste Le Cercle des parents.

Le roman de Colum McCann est une longue et lente psalmodie, un chant de tristesse et d’espoir contre l’absurdité de la guerre, un cantique qui oscille sans cesse entre guerre/mort et paix/vie : « Le meilleur jihad est celui que l’on mène contre soi-même. »

 

Sylvie Ferrando

 

Biographie de l’auteur : Colum McCann est un écrivain irlandais né en 1965 dans la banlieue de Dublin Après avoir été journaliste, il commence à écrire des romans en 1995 et accède à la notoriété avec Et que le vaste monde poursuive sa course folle (Let The Great World Spin, 2009) primé à de nombreuses occasions. Il vit à New York où il enseigne l'écriture créative.

  • Vu : 2610

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Colum McCann

 

Nationalité : Irlande

Né(e) à : Dublin , le 28/02/1965

 

Après des études de journalisme au St Joseph's College de Dublin, la seule formation en journalisme à l'époque en Irlande, Colum McCann travaille comme rédacteur pour l'Evening Herald puis devient correspondant junior pour l'Evening Press de Dublin dans les années 1980. Il avait déjà fait ses premières armes en recevant le prix du jeune journaliste de l'année pour son travail sur le sort des femmes battues de Dublin.

À l'âge de 21 ans, il décide de se rendre aux États-Unis. Il parcourt ainsi 20 000 kilomètres à travers l'Amérique, multipliant les petits boulots. Il décide ensuite de partir vivre au Japon, avant de revenir aux États-Unis, à New York, où il vit aujourd'hui. Il enseigne l'écriture d'invention à la City University de New York ou European Graduate School. Ses ouvrages ont été traduits en 26 langues et ont été pour partie publiés dans plusieurs revues.

Auteur d'une remarquable biographie romancée sur Noureev Danseur, il remporte pour "Que le vaste monde poursuive sa course folle" le National Book Award 2009 et le Prix du meilleur livre de l'année du magazine Lire.

 

http://www.colummccann.com

 

 

 

A propos du rédacteur

Sylvie Ferrando

Lire tous les articles de Sylvie Ferrando

 

Rédactrice

Domaines de prédilection : littérature française, littérature anglo-saxonne, littérature étrangère

Genres : romans, romans noirs, nouvelles, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Grasset, Actes Sud, Rivages, Minuit, Albin Michel, Seuil

Après avoir travaillé une dizaine d'années dans l'édition de livres, Sylvie Ferrando a enseigné de la maternelle à l'université et a été responsable de formation pour les concours enseignants de lettres au CNED. Elle est aujourd'hui professeur de lettres au collège.

Passionnée de fiction, elle écrit des nouvelles et des romans, qu'elle publie depuis 2011.

Depuis 2015, elle est rédactrice à La Cause littéraire et, depuis 2016, membre du comité de lecture de la revue.

https://www.edilivre.com/?s=Ferrando