Animots, Jean-Jacques Marimbert
Animots, décembre 2015, Illustrations Etienne Lodého, 103 pages, 15 €
Ecrivain(s): Jean-Jacques Marimbert Edition: Carnets du dessert de luneAvec un titre pareil, on pouvait s’y attendre : l’ombre tutélaire de Francis Ponge traverse et retraverse souvent ce recueil. Les « animots » sont ici calés entre leur réalité organique, ou imaginaire, ou poétique, et les mots pour le dire. Plus exactement chez Marimbert, pour le pétrir. La langue – Lacan nous conseillerait ici d’écrire lalangue tant il s’agit chez Marimbert d’un véritable organe – est la matière première de cette écriture, toute entière tournée vers la musicalité. Assonances, allitérations sont la structure même du poème, dominant le sens, se contentant de l’évoquer, avec la puissance d’une évocation. Il nous faut entendre les ou/u/o de « la chouette » :
Dormir enfin dormir
Paupières ourlets de peau
Fripée rose non jaune
Noire de charbon
Mais dormir ne plus
Penser à quoi que ce soit
Sous les paupières deux yeux
De lune froufrou de plumes
Disque blanc de l’effraie
Percé d’un bec duveteux.
(…)
La cassure du « vers » ne cède jamais à la mode triviale du hasard ou du besoin. Même incise dans une phrase, elle intervient à point nommé, avec quelque chose de l’obligation (sémantique parfois, musicale souvent, poétique toujours).
La poésie de Jean-Jacques Marimbert a mûri. Au rythme syncopé et rude de La Fourche (lire l’article consacré à ce recueil), Animots substitue une harmonie nouvelle, faite de chuintements, de vocalises. L’effet général, sans rien perdre de l’âpreté du réel, est l’arrivée d’une confiance nouvelle. Confiance en lui, en son art, en sa maîtrise de la langue poétique. Mais confiance aussi – qui suinte peu à peu du recueil entier – en l’homme peut-être, en la vie. Le regard porté sur la nature – regard pervers bien sûr, regard de poète – est plein d’empathie malgré tout, malgré la douleur, malgré la nuit. Cette alternance d’obscurité et de lumière, métaphore de nos vies, éclate dans un poème qui porte le titre de l’oiseau noir, Corbeaux et qui, au bout de la nuit, retrouve la vie :
Corbeaux
Le rire des corbeaux
Racle l’écorce matinale
Il donne aux peupliers
Nus et gelés la couleur
Des os rongés par la
Médisance des vents
Contraires de la vallée.
Collines de hêtres au
Loin se jouent du ciel
Mité qu’un enfant vise
Cailloux du chemin les
Galoches crottées se
Souviennent de l’été
Chemins bourdonnent
La mort chante en vain
Au creux du ruisseau.
Les illustrations d’Etienne Lodého sont une formidable pause du regard à chaque page, portées par le jeu d’ombre et de lumière qu’impose le texte.
En ces jours de peine et d’angoisse, les poèmes de Jean-Jacques Marimbert viennent rappeler à quel point la poésie est une nécessité vitale.
Léon-Marc Levy
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