American Mother, Colum McCann, Diane Foley (par Guy Donikian)
American Mother, Colum McCann, Diane Foley, Belfond, janvier 2024, trad. anglais (Irlande) Clément Baude, 197 pages, 21,90 €
Ecrivain(s): Colum McCann Edition: BelfondC’est en octobre 2021 qu’eut lieu le procès « d’Alexanda Kotey. Ex-citoyen britannique. Ex-soldat de Daech et membre, en son sein, d’un groupe surnommé par les journaux “les Beatles”. Ex-dealer. Aujourd’hui incarcéré. Citoyen de nulle part. Un homme désormais voué à passer sa vie dans une pièce d’où l’on ne peut s’échapper ».
Alexanda Kotey est celui qui a participé à la décapitation de Jim Foley. Sa mère, Diane Foley, va assister à son procès, et Colum McCann va l’accompagner et va rendre compte dans cet ouvrage des questionnements qui vont assaillir cette mère dont l’attitude, les comportements restent exceptionnels de courage et de dignité face à la barbarie.
En effet, que ressentir face à celui qui a assassiné son fils, dans quel état sera-t-elle devant lui, autant de questions qu’elle se posera alors qu’elle a accepté la confrontation.
« Elle est vidée. Rester assise cinq heures face à Kotey l’a épuisée. Savoir qu’il mentait. Qu’il n’a pas exprimé le moindre remords véritable, sincère. Qu’il a essayé de minimiser son rôle. Qu’il a pris ses distances avec la violence. Sentir l’aspect psychotique de son déni ». Diane Foley, face à l’un des assassins de son fils, sachant quelle difficulté elle aurait, n’a pas trouvé les termes pour définir le malaise, qui ne s’apparentait ni à la haine, ni à la colère, ni de la miséricorde. C’est dire aussi la dignité qui aura caractérisé Diane Foley durant ce procès.
Jim Foley a été décapité en 2014. Son exécution a été filmée et sur la vidéo diffusée, on le voit à genoux, vêtu d’une combinaison orange comme les détenus de Guantanamo, contraint de lire un message à l’Amérique. L’auteur a été bouleversé par cette exécution, et on comprend la vive émotion quand on a vu les images… la tête de Jim posée sur son corps. Colum McCann a donc suivi en 2021 Diane Foley lors du procès des assassins.
Colum McCann a su dans son texte retranscrire ce qu’au fond chacun d’entre nous essaie de penser face à une violence sans limite, une violence qui interroge tant elle renvoie à ce que toute civilisation a repoussé dans son histoire. Comment en arrive-t-on à de telles atrocités ? La religion est-elle seule capable de ce pire ? Pourquoi de telles croyances ? Le sens de l’histoire est aussi une réponse, mais évidemment partielle. Parce que la barbarie n’est plus un épisode de l’histoire, fût-elle récente, n’est-on pas en droit de se questionner sur nos responsabilités, à titre individuel comme à titre collectif ?
Ces questions sont présentes tout au long du texte quand l’auteur se fait le témoin de Diane Foley qui s’interroge sans cesse sur les motivations de l’assassin de son fils, en face de qui elle a, une fois encore, accepté de se confronter. Ses doutes vont jusqu’à chercher dans le moindre geste de l’assassin un possible remords, ou l’expression d’un doute, ou encore une humanité derrière un masque qui pourrait se fissurer.
Ce qui rend le texte fort, c’est cela précisément, l’absence de certitude, cette faculté et cette force qu’a la mère de Jim Foley pour comprendre les motivations de l’assassin, pour mieux connaître les conditions dans lesquelles son fils fut captif, puis décapité, pour comprendre aussi les raisons qui ont prévalu à la vidéo et à sa diffusion.
En somme, Colom McCann a écrit là un texte humain, qui renvoie à la dignité d’une mère dans cette terrible épreuve.
Guy Donikian
Colum McCann a publié chez Belfond différents ouvrages dont Apeirogon en 2020, Lettres à un jeune auteur en 2018.
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