Amazones, Raphaëlle Riol
Amazones, janvier 2013, 205 pages, 18,80 €
Ecrivain(s): Raphaëlle Riol Edition: La Brune (Le Rouergue)
Si l’on en croit la légende, les Amazones, non seulement se coupaient un sein pour mieux chasser, mais tuaient toute descendance mâle et ne s’accouplaient qu’à des hommes estropiés et/ou diminués par des mutilations diverses qui les empêchaient d’être violents et d’exercer sur elles leur pouvoir. Un féminisme antique, radical et singulier.
Alice, 30 ans, et Joséphine, 89 ans, les deux héroïnes de ce second roman de Raphaëlle Riol, en seraient-elles les lointaines cousines ? L’auteure prend le parti de nous le laisser croire, tout en illustrant son propos de nombreuses métaphores cruelles, mais aussi irrésistiblement drôles et cocasses.
Au hasard d’une rencontre dans une maison de retraite, mouroir brossé avec un humour féroce, ces deux femmes qui n’avaient, a priori, aucune chance de mêler leurs destins, vont fuir ensemble et entreprendre l’« escape road » à la française qui les mènera du Havre, à Loupiac en Gironde, puis à Marseille, avant un retour à la case départ.
Le roman s’articule autour des réflexions, observations, correspondances et confessions des deux héroïnes. Aux lisières de ce duo infernal, Max, graveur de totems fixant dans le bois la mémoire des autres, est le seul homme « épargné » dans des pages sans concessions pour la gent masculine. Il apporte par sa sensibilité un peu de douceur, de poésie et d’amour dans un univers de fiel.
En passant d’Alice, au profil psychologique frôlant l’état limite, s’automutilant à dix-sept ans et se réjouissant du décès accidentel de son amant : « Elle croit alors que je fais allusion au décès récent de Robin, persuadée comme le reste de la famille que sa mort brutale m’a traumatisé. Ses confortables clichés l’empêchent d’imaginer une seule seconde mon soulagement à l’heure qu’il est et plus encore cette nécessité curative de meurtre, vindicative et obsédante qui a été la mienne jusqu’à sa mort », à Joséphine, épouse frustrée et brève maîtresse d’un boucher complaisant, le lecteur est entraîné dans un jeu de massacre, passé et présent, où le ressentiment, la haine et la révolte s’expriment sans détour et de manière crue.
Si les deux femmes n’envisagent pour rompre le joug masculin d’autre solution que de devenir des « Madame Bovary ou de tuer », le passage à l’acte, dans l’un et l’autre cas, s’avère difficile et relève plutôt du fantasme. Ainsi, Alphonsine a tellement désiré la mort de son mari, grand massacreur de sangliers et tyran domestique, que celui-ci finit par passer l’arme à gauche… justement, lors d’une chasse. Robin, l’amant tant détesté d’Alice, s’étrangle en avalant un anxiolytique de travers, le moral sapé par une compilation des chansons les plus tristes qu’elle a concoctée à son intention.
Lorsque les hommes se conduisent comme des cochons… qu’ils n’attendent pas de compassion de leurs compagnes au moment ultime.
Et le cochon, Joséphine en connaît un rayon : « Elle a d’abord refusé de goûter le saucisson que Max lui offrait et puis, peut-être par politesse, s’est expliquée. Le cochon, elle connaît. Son égorgeur par vocation de mari, l’a gavée de tripes, de gras-double, de rognons. Un jour, même, l’un de ceux où elle a refusé d’assujettir son propre corps au sien, il l’a salement traitée de truie. Les petits amalgames entre amis font parfois les grands ennemis […] Alphonsine s’est bouché les oreilles quand les cochons criaient et aurait volontiers réveillé les morts pour se venger […] le porc, elle en a sa claque ! »
Chez les Amazones, on ne fait pas dans la dentelle, même si parfois on aime en revêtir les atours.
Tandis que les langues se délient, que le voyage en France et en soi progresse, on découvre les portraits d’autres femmes, sœurs, mères, filles qui ont opté, dans leur relation à l’autre sexe, bon gré mal gré, pour des comportements différents : soumission pour Nicole, satisfaction béate pour Aurore, rejet définitif pour Anne, prostitution volontaire et assumée pour Françoise.
Entre cicatrices physiques, morales, et cris étouffés, Raphaëlle Riol dépeint au féminin les relations entre les hommes et les femmes, d’une plume trempée dans un subtil et efficace mélange de vitriol et de poil à gratter. Un livre qui ravira beaucoup de lectrices et lecteurs de tous âges, en agacera quelques autres ; machos et beaufs, prière de s’abstenir… fans de Sardou et/ou de Vincent Delerm, également.
Catherine Dutigny/Elsa
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