Alors ? Tu m’aimes ?, Thomas Baignères (par Didier Ayres)
Alors ? Tu m’aimes ?, Thomas Baignères, Le Nouvel Athanor, décembre 2019, 85 pages, 15 €
Poème psychique
Ce qui est le plus intéressant pour le lecteur de poésie que je suis, et qui plus est, exprimant son sentiment et essayant de dégager de ses lectures des principes communs à la poésie, mon intérêt, donc, s’appuie sur la variété des propositions littéraires, dont certaines font univers. À ceci près que je ne disserte pas souvent sur les textes de notre patrimoine, mais plutôt sur ce qui est contemporain, ce qui paraît aujourd’hui, poésie vivante et souvent émouvante.
Ici, avec le livre de Thomas Baignères, je crois que je peux dégager une réflexion, organisée comme celle dont je parle à l’instant. Ainsi, j’ai trouvé trois mouvements distincts : un premier où l’ouvrage s’écrit à la manière d’un pamphlet, de slogans – que j’ai rapprochés dans mes notes de l’activité de l’imprimerie des Beaux-Arts de Paris –, des affiches produites en regard de la révolution de 1968, au travail graphique manifestant un goût pour la surprise, en un ton presque impertinent.
La deuxième partie, à laquelle j’ai été très sensible, s’occupe de métaphysique, celle de l’amour, de la prière, qui s’adosse à l’aimée, à l’Aimé. Ces pages beaucoup plus écrites forment un ensemble cohérent où le poète cherche une présence. Et toujours dans mes notes, j’ai consigné que cette présence pourrait se rattacher à la célèbre Samaritaine au puits qui croise le divin.
sensation d’extase
j’expire ton souffle
le bruit de mes cheveux contre tes seins
comme des gouttes frêles au goût indolore
des mosquées de velours s’étendent le long de ton corps
de mes mille voix je n’ai utilisé (pour l’instant)
que celle de l’innocence
je murmure mon éternel refrain et m’éteins
il reste là les peintres de notre vie
Par ailleurs, ces textes sont emprunts de l’atmosphère de lieux transitoires, de lieux propices au voyage, gares, trains, paysages traversés et déambulation dans la solitude, laquelle ne masque pas l’angoisse existentielle de chacun, surtout si l’on considère que notre destin est pareil à un exode infini et tend vers une poésie psychique, intérieure. De plus, dès les vers du début, ceux qui nous emmènent dans un pays un peu cocasse, déjà la question de la permanence se pose à la poésie, à son rôle, la poésie face au temps, sans savoir si celle-ci pourrait durer.
La suite de cette seconde partie revient à des textes plus fulgurants, presque polémiques, qui dénotent un peu du surréalisme, de Dada, de l’humanisme de la facétie si je puis dire.
Vous voulez vendre votre âme ?
Faites la queue comme tout le monde
Et pour réponse à ces coupures stylistiques du livre, le dernier texte, en prose, s’achève sur une phrase qui dit pour moi la justification de l’ouvrage et fait écho : J’aurais toujours été imitateur de néant, vendeur d’absurde et donneur de joie. Oui, le poème peut accueillir, avec simplicité souvent, le rire, rire qui est quelquefois rempart contre l’angoisse et la noirceur de notre destinée. Ainsi, les billevesées se communiquent de façon à dire autrement la relation de T. Baignères avec le monde. Et puisque je reviens à évoquer les galéjades, je précise qu’elles ne sont pas le fruit du hasard, mais qu’elles s’appuient sur une motivation morale, mise en relation avec des questions qui m’ont semblé spirituelles. Et là est pour moi tout l’escompte pour le chroniqueur de poésie contemporaine que je suis, c’est-à-dire cherchant de la vérité dans les livres, du sens, et pourquoi pas parfois, de la beauté, de l’amour céleste.
Didier Ayres
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